Ecoute, écoute!
de Kate Wilhelm

critiqué par Cédelor, le 8 mars 2020
(Paris - 52 ans)


La note:  étoiles
Une lisière de la réalité à la conception intéressante mais à l'exécution inégale
J’ai trouvé ce livre lors d’un échange public de livres, genre bookcrossing. Son titre « Ecoute, écoute ! » m’avait intrigué et la couverture montrait clairement le genre SF. Allez, je le prends, me suis-je dit !

Je ne l’ai pas lu tout de suite, mais 2 ou 3 années plus tard, quand je l’ai redécouvert dans ma petite bibliothèque perso. J’ai hésité entre plusieurs autres livres du même tonneau, puis je me suis finalement décidé pour celui-ci. Allez, je le prends, me suis-je dit !

Bon, voilà, je l’ai fini, donc je peux le critiquer maintenant. Un mot d’abord sur l’auteure, une certaine Kate Wilhelm, dont je n’avais jamais entendu parler. C’est le premier bouquin d’elle que je lis, et sans doute le dernier. Sa référence dans Wikipédia est des plus courtes : elle est une écrivaine américaine, née en 1928 à Dayton, Ohio et morte en 2018 à Eugene, Oregon. Elle fut la femme de Damon Knight, lui aussi écrivain de SF mais surtout critique important, qui a fait la pluie et le beau temps dans le petit monde de l’édition et la critique américaine de SF dans les années 40 à 70. Kate Wilhelm a écrit une dizaine de romans, dont certains ont obtenus des prix dans les années 70 et 80. C’est à peu près tout. Je n’ai pas été creuser plus loin. Autant dire que question renommée littéraire, c’est proche du néant. Elle ne doit être connue que des spécialistes et des passionnés. Bref, voilà pour la présentation de l’auteure, succincte.

Maintenant, venons-en à ce livre, publié en 1981. Ce titre, inaccoutumé pour un livre, même de SF : « Ecoute, écoute ! », il me semble avoir compris pourquoi l’auteur a choisi ce titre pour son recueil de nouvelles. Car c’est un livre qui regroupe 3 nouvelles : « La barrière sous la Lune », « Julian », et « Un bateau, une aiguille et un peu d’espoir », titre aussi étrange s’il en est, comme si l’auteur n’avait pas su trouver mieux, et le texte écrit d’un discours qu’elle a prononcé à la 38ème convention mondiale de la science-fiction en 1980 à Boston, Massachusetts : « La lisière incertaine de la réalité ».

L’ensemble est très disparate et inégal. Voici un résumé et mon opinion donnée sur chacun d’eux, dans l’ordre où ils sont donnés dans le livre :

1. La barrière sous la lune. C’est ma nouvelle préférée, la meilleure des trois. Celle qui est la plus homogène et cohérente. Et c’est surtout un roman d’atmosphère particulièrement réussi, où on sent l’étrange planer dans l’air du désert. Car l’histoire se déroule au Nouveau-Mexique, dans un coin de désert chaud, très chaud, et où une portion de terre bordant une ancienne rivière a été clôturée par une barrière car des choses étranges s’y passent certaines nuits où la lune brille de ses pleins feux. Des gens et des animaux y ont disparu sans explications. Cette terre était réputée maudite par les indiens du coin. Il arriva qu’une femme s’y est hasardée une nuit de pleine lune sans savoir où elle mettait les pieds. Ce qu’elle y vécut alors la traumatisa après coup : phares de voiture qui semblent flotter en ligne droite, nuages de lucioles qui l’entourent jusqu’à s’en sentir étouffée, rencontre irréelle avec un homme et son chien dont on ne retrouvera aucune trace. Plus tard, avec son amant et le propriétaire du terrain où se trouve l’enclos ceinturé de barrières, qui l’ont poussée à y revenir pour comprendre ce qui s’est passée, elle finira par y découvrir la vérité, à savoir que des extra-terrestres ont piégé ce bout de terre, en le transformant en un ascenseur temporel où personnes et animaux se retrouvent pris dans des époques du passé ou du futur, dans le but d’être analysés pour des raisons connues d’eux seuls. Une nouvelle qui vaut pour l’atmosphère qui s’en dégage, même si la fin est un peu confuse et l’explication des ET peu convaincante puisqu’on ne comprend pas vraiment pourquoi ils ont mis en place ce piège temporel.

2. Julian. Il débute lui aussi en mettant en place une certaine atmosphère d’étrangeté. Julian est un adolescent, à qui ses parents ont offert un télescope, instrument avec lequel il finira par trouver plus d’agrément à épier ses voisins plutôt que les étoiles. Et un jour, il remarque une femme nue à la fenêtre d’un hôtel en face. En regardant de plus près, il remarque un détail qui changera sa vie. Il comprit que cette femme n’en était pas vraiment une. Depuis, il n’a plus jamais utilisé son télescope et est resté obsédé par ce qu’il a vu. Devenu adulte, il se met en quête de cette soi-disant femme. Il finira par la retrouver dans le même hôtel où il l’a vue pour la première fois, où elle revient chaque année à la même période. A partir de là, le récit bascule dans l’invraisemblable, où de jeune homme timide et névrosé, il devient d’un coup le gourou d’une secte. Pas du tout convaincant. Et il utilisera cette secte pour attirer cette femme et s’en servir pour un pseudo miracle qui assoira sa position de gourou faiseur de miracles. Il s’avèrera qu’elle n’était pas seule, que d’autres de son espèce existent sur Terre. ils ressemblent aux humains, viennent de l’espace et se sont retrouvés coincés sur Terre un jour il y a longtemps, et qu’ils ont besoin de l’eau pour se régénérer et redevenir jeunes, et donc se perpétuer, alors qu’ils vieillissent très rapidement. Non, on n’y croit pas à cette histoire. Dommage, car la première moitié était réussie, avec la mise en place d’une atmosphère prenante d’étrangeté.

3. Un bateau, une aiguille et un peu d’espoir . Un titre long, curieux et singulier. Un peu à l’image de la nouvelle, qui, selon Wikipédia, a tout de même obtenu le prix Hugo du meilleur roman court 1982. Ce qui m’étonne car ce roman m’a paru déséquilibré entre deux parties d’égales longueurs. Peut-être qu’à cette époque, on n’y regardait pas trop à la qualité en décernant leurs prix ? Car pour ma part, ce n’est pas la mieux réussie des nouvelles. Une compagnie d’assurances fait appel à un ancien policier et à sa compagne, une psychologue à la retraite, pour l’aider à enquêter sur un homme, ingénieur informaticien aux tendances suicidaires, et qui a ouvert une grosse assurance-vie, qui ira à sa femme en cas de décès. Ils l’ont retrouvé dans un hôtel, et découvrent qu’il est sous l’emprise d’une femme, elle aussi pensionnaire du même hôtel. Ils finiront par l’arracher à cette inexplicable emprise, quasi surnaturelle, en l’éloignant de l’hôtel mais se retrouveront dans la deuxième partie du récit sur un bateau avec cette femme étrange qui s’attendait à y retrouver l’homme ingénieur informaticien et non ce couple singulier, retraités de la police et de la psychologie. Ils découvriront que cette femme, qui n’est pas humaine malgré son apparence, dispose de la capacité de contrôler à distance, par intermittence, le corps des autres. Et qu’il en existe sûrement d’autres, disséminés parmi l’humanité. Après un long combat (dans lequel est utilisé une aiguille, entre autres, donc le titre de la nouvelle se justifie un peu…), ils finissent par la mettre hors d’état de nuire. Cette dernière partie ressemble à un mauvais film hollywoodien, même si pas déplaisante à lire.

Le recueil se termine par le discours que l’auteur a prononcé un jour de 1980 à une convention mondiale de la science fiction, et qu’elle a intitulé : « La lisière incertaine de la réalité ». Un discours où elle expose ses vues selon lesquelles la science-fiction doit être écrite pour aller au fond de la vérité des choses, à décortiquer la façon dont nous vivons notre propre réalité, jusqu’à quel point nous la créons selon nos désirs ou la nions selon nos peurs. Nous déformons donc la réalité selon notre esprit et non selon ce qu’elle est objectivement. Du coup, la réalité que nous vivons collectivement est une création de notre esprit, et cette création collective nous mène droit à l’abîme en tant qu’humanité (course à l’arme nucléaire, pollution, racisme, sexisme,etc). Les nouvelles dont je rapporte le contenu plus haut pourraient s’appliquer à cette conception, qui n’est pas révolutionnaire, certes. Pour ma part, j’y vois surtout, dans ces nouvelles, la peur de l’inconnu, de l’ailleurs, de l’étranger qui pourrait nous faire du mal et dont on doit se protéger en le confinant, en l’éliminant ou en l’assimilant. Et ce titre « écoute, écoute ! » peut s’interpréter comme un chuchotement à l’oreille :« écoute, écoute, entends-tu les êtres étranges qui se meuvent sans bruits sur la lisière de ta réalité ? ».

Au final (je ne pensais pas écrire autant de mots sur un livre aussi mineur !), un recueil de nouvelles qu’on peut se passer de lire, à part peut-être « La barrière sur la Lune », mais bon, c’est assez peu pour pouvoir bien noter l’ensemble. La conception est intéressante mais l'exécution inégale.