La femme aux cheveux roux
de Orhan Pamuk

critiqué par SpaceCadet, le 9 février 2020
(Ici ou Là - - ans)


La note:  étoiles
Qui est-tu mon père? Qui est-tu mon fils?
C'est toujours avec un sentiment d'anticipation et non sans éprouver une petite crainte d'être déçu que j’aborde un énième roman d’Orhan Pamuk. Cette fois encore, au bout de quelques lignes seulement, la magie 'pamukienne' opérant, c'est avec le sourire aux lèvres que j'ai poursuivi ma lecture, curieux de découvrir à quel sujet de réflexion et quel genre d'histoire l'auteur allait me convier.

A l'encontre de ses prédécesseurs et sans doute en réponse aux remarques proférées par ses fidèles lecteurs, le dixième roman de ce Nobelisé et auteur parmi les plus lus à travers le monde, s'avère d'une étonnante brièveté. Court et servi par un texte plus aéré, il n'en cède cependant pas en substance et nous plonge, toujours avec autant d'habileté, dans cet univers unique où Pamuk a su faire son nid.

'La femme aux cheveux roux' raconte l'histoire de Cem, un homme qui à l'aube de la cinquantaine, revisite son passé et ce faisant dévoile comment, entre concours de circonstances et actes délibérés, certains événements vécus à l'été de ses dix-sept ans (1986) ont en quelque sorte défini le cours de sa vie.

Composé de trois parties, le récit nous emmène dans un premier temps aux abords d'Öngören, une ville (fictive) située non loin d'Istanbul, où le jeune Cem, embauché comme apprenti, découvre aux côtés de Master Mahmut, les différentes facettes du métier (traditionnel) de puisatier. En plein processus de maturation, traversé par une palette de sentiments qui l'incitent à agir de manière impulsive, Cem, ayant d'une part noué une relation de type père-fils avec son maître du moment, tandis qu'autre part il expérimente les prémices d'une passion amoureuse, va bientôt se trouver confronté à des circonstances auxquelles il ne sait pas répondre. A la suite de cet épisode qui ne dure qu'un mois, la seconde partie du récit détaille le parcours suivi par Cem au cours des années qui suivent. Entre mariage et évolution professionnelle, ce parcours est jalonné par un questionnement, une sorte de quête de soi, de sens et de vérité. Un parcours donc qui le mènera jusqu'au faîte de sa vie, moment où il sera directement confronté à son passé. Enfin, narrée par la flamboyante Gülcihan (la femme aux cheveux roux), la troisième partie du récit complémente et revisite depuis un point de vue différent (féminin), les événements auxquels nous venons d'assister.

Classique roman de passage à l'âge adulte revêtant éventuellement l'apparence d'un fait divers au premier plan, 'La femme aux cheveux roux', s'appuie toutefois sur un fond thématique aux multiples ramifications, un fond omniprésent, dont l'influence et la présence se fait sentir tout au long du récit. Ainsi, superposée à des récits classiques ayant quelques affinités avec le récit (1), on réalise assez rapidement que l'histoire racontée dans ce roman sert de motif pour introduire et développer divers sujets de réflexions.

Dans un premier temps et d'un point de vue global, évoquant la notion d'archétype, une notion qu'il explore alternativement sous l'angle de la création littéraire et (suivant la pensée jungienne) sous celui de la psychologie humaine, on peut dire que 'La femme aux cheveux roux' pose la question suivante: l'existence humaine ne serait t'elle pas constituée d'un ensemble de modèles fondamentaux formant une seule et même histoire que, d'une génération à l'autre, nous réinterprétons à travers le filtre des conditions dans lesquelles nous nous trouvons 'ici maintenant'? Vu sous cet angle, le roman touche donc à des notions telles que le libre arbitre ou plus généralement celle du sens de l'existence humaine.

Puis en second plan, s'appuyant toujours sur divers classiques de la littérature, le récit explore également le thème de la relation père-fils et ses diverses implications, sujet à partir duquel il glisse vers celui du rapport existant entre la forme adoptée par un gouvernement (à l’image du père) et l'évolution d'une nation (à l’image du fils). Puis, tel que dans ceux qui l’ont précédé, 'La femme aux cheveux roux' aborde également le thème de l'identité et de la culture turque, ainsi que celui des changements résultant du développement et de la modernisation de la ville chère à l'auteur.

Roman aux multiples facettes donc, doté d'une narration maîtrisée, dont la tonalité contribue plutôt bien à la crédibilité des deux personnages narrateurs. Plus succinctement développés, les personnages secondaires m'ont semblé moins convaincants. Servi par une prose nette, toujours soucieuse de sa précision, ‘La femme aux cheveux roux’, est également parsemé de belles images, de passages à teneur poétique ainsi que de descriptions habilement tournées.

Enfin, tout en s'appuyant sur une construction relativement simple, le récit faisant brusquement volte-face en adoptant un autre point de vue ainsi qu'une nouvelle voix narrative à la troisième partie, (s'ajoutant à un dénouement quelque peu forcé), souffre il me semble, d'un léger manque d'uniformité.

Cela étant, Pamuk livre ici un roman stimulant, possédant un indéniable caractère universel qui, en dépit de l'envergure du contenu thématique, se lit relativement aisément.

Notes:
1.Citons entre autres (pour la culture occidentale), 'Oedipe roi', pièce de théâtre composée par l'auteur grec Sophocle et (pour la culture orientale), 'Rostam et Sohrâb' une tragédie faisant partie de l'épopée Shâh Nâmeh composée par le poète persan Ferdowsî.

2.Lu en traduction anglaise.