Les oeufs fatidiques, Diablerie et autres récits
de Mikhaïl Boulgakov

critiqué par Saule, le 19 juillet 2004
(Bruxelles - 58 ans)


La note:  étoiles
Quand le diable s'en mêle
Le diable n'est nommé explicitement que dans une des quatre nouvelles de ce recueil (Diablerie) mais sa présence n'est jamais très loin dans chacune, que ce soit sous les traits du destin (dans la première le malheur arrive par l'entremise d'un certain Rokk, soit le destin en russe) ou sous les traits d'un personnage sortis d'un livre de Gogol dans une autre. Boulgakov laisse libre cours à son imagination débordante dans ces quatre récits trépidants, des nouvelles publiées en 1925 et qui par chance échappèrent à la censure, malgré la satire à peine déguisée du système communiste, de la bureaucratie et de la bêtise humaine.

Dans la nouvelle titre, les oeufs fatidiques, un savant fou invente un système qui permet d'accélérer l'éclosion et la croissance des oeufs de batraciens. Malheureusement un homme politique décide de s'approprier l'invention et de l'appliquer à l'élevage de poules. Idée funeste, car avec un coup de main du destin sous la forme d'une malencontreuse inversion d'oeufs, c'est une catastrophe d'une ampleur sans précédent qui se déclenche et va mettre Moscou en émoi. Cette nouvelle surréaliste, qui oscille entre l'absurde et la satire, est racontée avec un art consommé de la drôlerie. Le professeur Persikoff est un personnage particulièrement truculent : maniaque et puéril, il est très colérique et terrorise ses étudiants (j'ai bien ri lorsqu'il se vante d'avoir recalé tout ses étudiants sur une question de mandibules de batraciens). Amoureux de ses bestioles, il n'en reste pas moins le personnage le plus humain de cette histoire.

La deuxième nouvelle, ma préférée, raconte dans un crescendo effarant l'histoire d'un employé planqué dans un ministère qui perd sa place du jours au lendemain. C'est l'irruption du diabolique et de l'absurde dans sa vie et dans les ministères de Moscou, une déferlante proprement stupéfiante. Pour notre plus grand bonheur car Boulgakov allie l'ironie, la dérision et un solide sens de l'humour à la perfection. Le récit s'emballe tellement qu'on se demande bien ou tout cela va se terminer. Cette nouvelle, parue dans la colletion 2 euros de Folio, fait l'objet d'une critique sur ce site.

Les deux dernières sont très courtes. Juste quelques pages pour la dernière, dans laquelle un personnage sorti d'un livre de Gogol ("Les âmes mortes") fait irruption à Moscou et connaît une ascension fulgurante. L'occasion pour Boulgakov de dénoncer les abus et les aberrations d'un système corrompu.