Vie de Beethoven
de Romain Rolland

critiqué par Poet75, le 11 janvier 2020
(Paris - 67 ans)


La note:  étoiles
Le héros de la Joie!
« Ludwig van Beethoven naquit le 16 décembre 1770 à Bonn, près de Cologne, dans une misérable soupente d’une pauvre maison », écrit Romain Rolland. Dès sa venue au monde, semble peser sur celui qui, avec Mozart, est devenu le compositeur le plus célèbre de tous les temps, comme une chape de désolation qui ne l’a quasiment jamais quitté. En cette année, où nous commémorons le 250ème anniversaire de sa naissance, découvrons, redécouvrons ce génie de la musique dont nous ne connaissons peut-être que les compositions les plus célèbres. Mais, pour peu que nous soyons suffisamment curieux, nous ne finirons jamais ni de sonder l’âme de cet homme ni de nous émerveiller des œuvres qu’il nous a léguées.
Pour ce faire, pour renouveler notre écoute, éduquer notre oreille, ouvrir notre cœur, il peut être très profitable d’en savoir davantage sur la vie du compositeur ou, au moins, d’en avoir un aperçu. Ce n’est pas le cas de tous les musiciens, mais Beethoven (tout comme Robert Schumann, par exemple) fait partie de ceux dont les œuvres et la vie sont étroitement intriquées. Ni les articles ni les ouvrages ne manquent, bien évidemment, mais il en est beaucoup de très savants qui ne sont à la portée que des musicologues accomplis. Il existe aussi, fort heureusement, des livres plus simples, plus accessibles au grand public, et qui s’avèrent bien suffisants pour une première approche. Parmi ceux-ci, l’on peut distinguer l’opuscule qu’écrivit Romain Rolland en 1903, opuscule qui fut édité par Charles Péguy dans ses Cahiers de la Quinzaine et qui, à la surprise et de l’auteur et de l’éditeur, connut un important succès. Il vient d’être opportunément réédité par les éditions Bartillat.
Il faut croire que le petit ouvrage répondait à une attente, à un appétit de connaissances, à une curiosité très saine. Romain Rolland avait imaginé cette Vie de Beethoven comme le premier volet d’une série d’ouvrages consacrés aux hommes illustres. Il voulait, ce faisant, proposer des exemples d’héroïcité. Mais attention, il ne s’agissait pas de n’importe quelle héroïcité : « Je n’appelle pas héros, écrivait-il dans sa préface de 1903, ceux qui ont triomphé par la pensée ou par la force. J’appelle héros seuls, ceux qui furent grands par le cœur. » Rolland conçoit ce livre comme une sorte d’antidote au nietzschéisme qui remportait alors un franc succès. Il s’agissait, en vérité, d’un nietzschéisme assez caricatural, mais peu importe. Pour Romain Rolland, la grandeur de Beethoven s’oppose radicalement au nihilisme « surhumain », puisqu’elle se traduit, comme l’explique très bien Jean Lacoste dans sa passionnante préface, par « une expérience positive, créatrice, celle de la Joie. »
Voilà ce qui fait de Beethoven un héros ! Pourtant sa vie, telle que la raconte Romain Rolland, n’est qu’une suite de déboires, d’épreuves, de souffrances, presque ininterrompue. Dès sa jeunesse, à Bonn, ville dont il gardera cependant toujours un précieux souvenir (tout comme il préférera toujours le Rhin au Danube), il doit subir l’emprise d’un père ivrogne qui ne cherche qu’à exploiter ses dispositions musicales. À cela s’ajoute le décès de sa mère en 1787. Mais, bien sûr, c’est à Vienne qu’il se fixe dès 1792, ville qu’il ne quitte plus, même si, comme ce fut le cas pour bien d’autres compositeurs, la capitale autrichienne se montre très ingrate à son égard.
Dès ce moment-là, entre 1796 et 1800, la surdité commence ses ravages. Une telle infirmité est une épreuve terrible pour n’importe qui, elle complique considérablement la communication avec autrui, elle isole. Mais quand on est compositeur ! Dans une lettre à Wegeler, un de ses amis, Beethoven s’exprime à ce sujet : « … Je mène une vie misérable. Depuis deux ans, j’évite toutes les sociétés, parce qu’il ne m’est pas possible de causer avec les gens ; je suis sourd. » Or la surdité, aussi redoutable soit-elle, n’est pas le seul motif d’affliction de Beethoven. Sur le plan sentimental, lui qui se fait une haute idée de l’amour, lui qui déteste les propos grivois, mais lui qui s’enflamme rapidement pour les personnes de sexe féminin qu’il rencontre, ne connaît que des déconvenues. Deux femmes sont particulièrement chères à son cœur : Giulietta Guicciardi qui, en fin de compte, préfère épouser un autre homme, ce qui provoque une profonde crise de désespoir chez Beethoven, au point qu’il est tenté par le suicide ; et Thérèse de Brunswick, avec qui il se fiance en 1806, mais avec qui, pour des raisons qui demeurent mystérieuses, le mariage s’avère impossible.
D’autres adversités encore accablent Beethoven : son neveu, pour qui il se dévoue sans compter, mais qui se montre très indigne d’une telle confiance ; et d’incessants soucis d’argent car, même s’il y a une période de sa vie où il est aidé par de riches mécènes, le compositeur n’est jamais rémunéré à sa juste valeur. Même la 9ème symphonie, qui remporte, dès sa création, un franc succès, ne lui rapporte rien sur le plan pécunier.
Venons-en justement, pour finir, à cette fameuse symphonie et à son Hymne à la Joie, jaillissement inattendu de voix chantant le poème de Schiller. Personne encore n’avait eu cette audace de faire intervenir des voix solistes et un chœur au terme d’une œuvre symphonique. Beethoven, lui, y songe depuis longtemps avant de s’y résoudre enfin. Tout l’opuscule de Romain Rolland culmine dans cet événement sur lequel l’écrivain s’étend longuement. Car elle est là, l’héroïcité de Beethoven : du fond d’un abîme de tristesse, parvenir à célébrer la Joie. Pas n’importe quelle Joie, qui plus est : comme le fait, très justement, remarquer Romain Rolland, il y a un silence juste avant l’apparition du thème de la Joie dans la symphonie, comme pour signifier que la Joie descend du ciel. Elle est un cadeau offert à une humanité souffrante : « Toute une humanité frémissante, écrit Romain Rolland, tend les bras au ciel, pousse des clameurs puissantes, s’élance vers la Joie, et l’étreint sur son cœur. » La grandeur, l’une des grandeurs en tout cas, de Beethoven, c’est d’avoir puisé au tréfonds de son cœur ce trésor insoupçonné, imprévu. « Un malheureux, écrit Romain Rolland, pauvre, infirme, solitaire, la douleur faite homme, à qui le monde refuse la joie, crée la Joie lui-même pour la donner au monde. » Comment mieux dire les choses et comment mieux inviter à découvrir ou redécouvrir l’homme Beethoven et ses œuvres ?