Jean XXIII Lettres à ma famille
de Jean XXIII

critiqué par Septularisen, le 4 janvier 2020
(Luxembourg - 56 ans)


La note:  étoiles
DES LETTRES ÉCRITES À DE PAUVRES PAYSANS, PAR UN FILS DE PAYSAN... DEVENU PAPE!
Étrange livre que celui-ci, tombé entre mes mains par hasard, et regroupant en plus de 1.000 pages, les 727 lettres qui ont pu être retrouvées et adressées par le «Bon Pape», Jean XXIII (Angelo Giuseppe RONCALLI 1881 – 1963), à sa famille.

Nous le suivons dans son ascension de toutes les fonctions de l’église catholique. Depuis les années du grand séminaire à Rome, puis à partir de 1903 comme prêtre. De 1925 à 1934, il est Délégué Apostolique en Bulgarie, puis en Grèce. Nonce à Paris de 1945 à 1953, il est nommé par le Pape Pie XII, Cardinal et Patriarche de Venise. Fonction qu'il occupera de 1953 à 1958. Il lui succédera à la surprise générale à ce même Pie XII, en 1958.
On pénètre ici dans le plus secret et le plus intime du futur Pape, et c’est un témoignage unique, qui nous permet d’approcher tous les aspects de sa vie, avec simplicité, spontanéité, humilité et une franchise étonnante. Il n’y a d’ailleurs aucune recherche de style ou d’expression, il ne faut pas oublier que Jean XXIII s’adresse ici à des gens simples et pauvres, une famille de cultivateurs, qui pour la plupart savent à peine lire.

Se déroulent devant nous soixante ans d’histoire, avec des événements internationaux, deux Guerres Mondiales, des révolutions, des papes, des souverains, des catastrophes naturelles, des changements politiques…
Disons-le tout de suite, ces lettres ne révèlent d'exceptionnel. D’autant plus que face aux grands «événements» historiques, Angelo RONCALLI manque du recul nécessaire pour les juger de façon correcte. Ainsi p. ex. quand il écrit à sa famille le 25 décembre 1939 : «Nous avons de la chance en Italie. Cette fois il faut le dire : il y a une main qui guide le Duce pour le bien des Italiens. Je pense que le Seigneur veut récompenser gouvernants et sujets pour la paix faite avec l’Église. » et plus loin «Et il faut être reconnaissants à Mussolini. Combien d’hommes d’État l’Italie a connu avant lui! Les Papes ont toujours été disposés à la conciliation, mais il n’y a jamais eu d’homme capable d’y répondre du côté de l’État.»

Si Angelo RONCALLI fait ici référence à la déclaration de non-belligérance de l’Italie, et aux Accords du Latran qui venaient juste d’être signés, l’histoire nous a ensuite montré une autre facette, - bien différente-, du dictateur fasciste italien! (Il le reconnaîtra d’ailleurs lui-même s'être trompé en 1954, dans un discours commémorant le vingt-cinquième anniversaire des Accords du Latran...).

Je ne peux bien sûr pas vous parler de toutes les lettres dans une si courte recension, il y aurait tant à dire… Une des choses qui m’a le plus frappé, c’est l’extrême pauvreté de la famille RONCALLI, et ce même pendant tout le temps de la vie du Pape Jean XXIII. Elle manqua souvent du peu nécessaire. Le 6 novembre 1937 p. ex. il écrit à sa mère et ses sœurs: «Ce sont là de gros efforts pour moi. Pourtant je les fais volontiers pour que vous puissiez commencer l’hiver sans le souci des comptes de l’épicerie pour le pain et l’huile». Ou bien, le 25 décembre 1948 à son frère Saverio: «Ton frère archevêque donne l’impression d’être riche, mais il ne l’est pas. Habituellement, il donne tout ce qu’il a et à mesure qu’il a quelque chose. Il lui arrive souvent, à lui aussi, de devoir se priver de choses qui pourtant conviendraient à sa situation.»

Les lettres les plus intéressantes de mon point de vue sont celles qu’il écrit après son accession à la chaire de Pierre, mais malheureusement elles ne sont qu’au nombre de dix, et encore trois sont de simples dédicaces manuscrites, et une a été «caviardée» par la censure sous le motifs que : «La lettre a trait à des questions familiales de caractère personnel »… Dommage!

Rien ne prédisposait en effet ce fils de paysans 4e d’une famille de 13 enfants à devenir Pape. Lui-même en est le premier surpris! Il écrit d’ailleurs à sa nièce Enrica RONCALLI de Rome le 20 octobre 1958 (huit jours avant d’être élu Pape) : «Vous ne devez pas croire ce que racontent les journaux» et un peu plus loin: «Quant à moi, j’ai plus que jamais la confiance, presque la certitude, de retourner à Venise» (…)
On connaît la suite de l’histoire, de celui qui n’hésitera pas à écrire à son frère Saverio, le 3 décembre 1961: «Je suis un prisonnier de luxe qui ne peut faire tout ce qu’il voudrait» et un peu plus loin des propos qui aujourd’hui encore sont d’actualité: «Et vous faites bien de demeurer dans l’humilité, comme je m’y efforce moi aussi, et de ne pas vous laisser prendre par les insinuations et les sornettes du monde. Le monde ne s’intéresse qu’à gagner de l’argent, à jouir de la vie et à s’imposer à tout prix, fût-ce par la violence, comme il arrive malheureusement».

Alors qu’il est Pape, on voit notamment ici qu’il craint par-dessus tout les ragots et les soupçons de népotisme. Ainsi p. ex. le il écrit à son neveu Battista RONCALLI (qui avait suivi ses traces et qui était prêtre) le 3 août 1959 : «C’est pourquoi je t’exhorte à rester tranquille dans les mêmes dispositions, sans perdre ton temps en hypothèses et en projets. Voluntas Dei pax nostra. Evite les distractions, les bavardages, et le reste. Écoute, souris, sois humble et bon, et passe outre, en prêtre modeste, bienfaisant et doux». (…)
Et il rajoute même en P.-S. : «Si tu veux me faire plaisir, ne te sers pas trop facilement de la voiture, surtout pour faire le chauffeur et pour rendre à d’autres des services qui ne sont pas vraiment nécessaires.»

Dans une lettre du 02/09/1959 il n’hésite pas à «engueuler» sa jeune sœur Assunta, du fait qu’elle «profite» un peu trop de l’accession de son frère a la charge pontificale:

Ma chère sœur Assunta,

Depuis quelque temps, on te voit ici et là, jusqu’à Lourdes, et récemment encore à Fiera di Primiero. Rien de mal, au contraire, à aller en pèlerinage à Lourdes. Mais te montrer ailleurs, ici et là, cela ne convient pas, même si on se charge des frais et qu’on te fait des compliments et des cadeaux. Ta place de sœur du Pape, c’est de vivre retirée et presque cachée dans ta maison. Toute manifestation de ta part, même si elle est agréable pour toi, pour celui qui t’en donne l’occasion et spécialement pour la personne du Pape, finit dans les commérages et dans le ridicule. Ne te fie à personne chère Assunta. Quiconque t’invite ou prétend te rendre service n’a en vue que son intérêt, et rien d’autre. Et quand ces nouvelles venant d’ici ou là arrivent à mes oreilles, j’en suis vraiment mécontent et peiné (…).

Après six mois de lecture (à raison de quelques lettres par jour…), je dois avouer que je finis de lire ce livre ébahi, non seulement, - et contrairement à ce que je craignais -, je ne me suis pas ennuyé une seule minute, mais en plus je fini «touché » par sa grâce et sa modestie qui n’a d’égal que son abnégation à être le serviteur de Dieu. Tout est ici d’une douceur ineffable, jamais un mot plus haut que l’autre, toujours pour encourager, aider, conseiller, enseigner, le tout bien sûr de façon lumineuse, dans la foi, l’espérance et la compréhension…

P.S. : Jean XXIII a été lauréat du Prix Balzan pour l'humanité, paix et fraternité entre les peuples en 1962.

Pour ceux que le grand nombre de pages rebuterait, il existe une édition "condensée" des "Lettres de Jean XXIII à sa famille", traduites par Giustino FARNEDI chez Desclée de Brouwer - Lattès et qui ne compte "que"... 380 pages!