Le Consentement de Vanessa Springora

Le Consentement de Vanessa Springora

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Le rat des champs, le 2 janvier 2020 (Inscrit le 12 juillet 2005, 73 ans)
La note : 10 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 7 avis)
Cote pondérée : 7 étoiles (1 446ème position).
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Destruction et reconstruction

Que dire de ce témoignage glaçant? Que je suis bouleversé? Certainement, mais aussi plein de respect pour l'auteure, qui a réussi dans les larmes et la souffrance à échapper à l'emprise diabolique d'un écrivain porté aux nues par ce qu'on hésite à nommer l’intelligentsia, un pervers narcissique, et qui s'est reconstruite avec un courage qui force l'admiration.
A quatorze ans, la vie de V. est peu enviable, ses parents sont divorcés, et la souffrance de l'absence de son père en a fait une écorchée vive. Elle se sent laide, moche, se décrit comme un "crapaud". Elle vit une relation fusionnelle avec sa mère et au cours d'un dîner, elle rencontre l'écrivain Gabriel Matzneff, âgé de cinquante ans. L'homme brille de tous ses feux, il a de l'humour, un discours brillant, et semble n'avoir d'yeux que pour elle. Dans les jours qui suivent, il lui fait une cour assidue. Incapable de discernement, éblouie, elle finit très vite par se retrouver entre ses draps, dans une chambre de bonne, au sixième étage d'un immeuble parisien. Avec une perversité accomplie, G.M. lui fait croire qu'il n'y a rien de plus normal que l’amour qu'il lui porte, et que si certains le voient comme un écrivain maudit, elle représente sa rédemption, une chance que lui offre le destin de vivre enfin dans la pureté d'un amour absolu, tellement romantique. Elle le trouve beau, avec sa calvitie, il ressemble à un sage, à un bonze aux yeux bleus, et cette jeune adolescente, éprise de culture et de littérature cède à l'ogre. Comme G. n'arrive pas à la déflorer, leurs premières relations sexuelles seront anales. Voilà, dit-elle comment elle perd une première partie de sa virginité. Comme un petit garçon lui glisse-t-il à l'oreille. Ce n'est que plus tard, grâce à une petite incision pratiquée dans son hymen sous anesthésie locale par un gynécologue, que l'amour, mais peut-on l'appeler ainsi, sera possible par voie vaginale.
Les conséquences seront dramatiques. V. sèche les cours pour aller retrouver G. dans sa chambre de bonne, elle est en décrochage scolaire, et très vite, elle s'aperçoit qu'elle est loin d'être la seule proie de l'ogre, qui multiplie les manœuvres de séduction pour la ramener dans son lit. Quand G. est reçu sur le plateau d'une célèbre émission littéraire française, elle l'accompagne, toute fière de son bel amant.
Incapable de comprendre qu'elle est victime du syndrome de Stockholm, elle est choquée, offusquée de l'intervention, en direct, d'une écrivaine québécoise nommée Denise Bombardier qui, courageusement, prend tout le monde à contre pied et le traite de pédophile. Pour elle, c'est clair, cette femme est une virago. D'ailleurs, son amant et mentor ne dit-il pas qu'elle est une mal baisée?
Lorsque la police reçoit des lettres anonymes pour dénoncer la pédophilie de G. ce dernier ne se démonte pas. Il fait disparaître les preuves des passages de V. dans son petit studio, et nie tous les faits, à chaque convocation par la police, avec un sourire enjôleur.
Hospitalisé pour mise au point d'une maladie un peu mystérieuse, G. fait courir le bruit qu'il est atteint du sida, et, amoureuse, V. imagine qu'elle et G. mourront ensemble, main dans la main, de la mort romantique des amants maudits, puisque, comme chacun sait, Eros et Thanatos sont liés.
G. pour maintenir son emprise sur V. souffle le chaud et le froid. Il lui fait lire la bible, il rédige ses dissertations, il manie le verbe, dit-elle, comme on manie l'épée. Même si elle lit dans l'oeuvre glauque de l'écrivain le récit complaisant de ses exploits sexuels avec les garçons de Manille, elle n'y croit pas, d'autant plus qu'il affirme qu'elle est sa planche de salut qui lui permettra de se débarrasser de ses démons.
Quand V. commence à comprendre que (je cite) la démarche littéraire de G. avait toujours eu pour but de tordre la réalité de la manière la plus flatteuse à son égard, quand elle rencontre Youri, un garçon de 22 ans, et qu'elle échappe petit à petit à l'emprise, l'ogre ne cesse de la harceler pour la récupérer. La réalité se révèle dure, très dure, voire destructrice, au point que V. devient anorexique, se drogue, et tente même un jour de se jeter par la fenêtre.
Après plusieurs années, et une psychothérapie de longue haleine, V. arrive enfin à se reconstruire, à être enfin capable de rencontrer un homme avec qui elle se sent pleinement en confiance.
Destruction, calcination, reconstruction, un vrai travail alchimique. Engagée dans la maison d'édition qui avait publié le fameux essai "les moins de seize ans" elle apprend que les droits du livre n'ont pas été renouvelés à cause de "la raréfaction des amateurs de ce genre de publications, ou leur honte à s'avouer comme tels".
Alors, bien sûr, certains se demanderont pourquoi ce livre. Par vengeance? Par catharsis? Pour éviter à d'autres de devenir, comme elle, victimes de pédocriminels, de pervers narcissiques?
Peut-être, à mon avis, pour toutes ces raisons, mais ce livre, remarquablement bien écrit est d'abord et avant tout l'autobiographie d'une femme extraordinaire, qui a réussi, à la force du poignet, à se reconstruire après avoir été la victime d'un ignoble personnage.

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Une lecture dont on ne ressort pas indemne

8 étoiles

Critique de Missef (, Inscrite le 5 mars 2007, 58 ans) - 28 février 2021

Vanessa Springora (la V. du livre) raconte dans ce livre devenu événement sa relation, à partir de l'âge de 14 ans avec l'écrivain Gabriel Matzneff, dans les années 1980, alors qu'il a la cinquantaine et une renommée grandissante dans le milieu littéraire. Une trentaine d'années plus tard, l'auteure a le courage de jeter sur le papier cette histoire à la fois inouïe et, nous l'apprenons un peu plus chaque jour grâce à la chape de plomb qu'elle a levée, plus répandue qu'on ne pourrait le croire. Elle ne tait rien de son admiration immense pour l'auteur, sans doute aveuglante au point de lui faire croire qu'elle l'aimait - il se trouve aussi que le prédateur est habile et sait manipuler une jeune fille en manque de repère paternel. C'est en découvrant les écrits plus sulfureux de G. que V. va réussir à s'en défaire, notamment ceux où il se vante d'aller apporter son "expérience" et son "expertise" en matière sexuelle à de jeunes enfants de 11 à 12 ans à Manille.
On ne ressort pas indemne de cette lecture essentielle, qui espérons-le ouvrira la voie à une pénalisation stricte des relations de tout adulte avec des mineurs de moins de 15 ans.

Livre édifiant

10 étoiles

Critique de Felix280 (, Inscrit le 21 mars 2014, 64 ans) - 4 septembre 2020

Ce livre m'avait été recommandé par une amie. J'étais cependant réticent à le lire, en raison du sujet particulièrement sombre dont il traite. Je dois dire que je ne regrette pas une seconde de l'avoir lu, car ce texte, s'il est édifiant, est particulièrement bien écrit, lucide, intelligent. Lumineux, en quelque sorte. C'est un ouvrage qui nous éclaire sur ce que nous sommes capables de tolérer, et qui en appelle à la responsabilité collective de protection des victimes. Et c'est aussi une histoire bien menée, dramatique, mais qui, en quelque sorte, finit bien : à lire !

Condamnation et réhabilitation

10 étoiles

Critique de Pacmann (Tamise, Inscrit le 2 février 2012, 59 ans) - 14 août 2020

Au-delà de ce récit qui depuis sa parution a fait l’objet plus qu’une très large couverture médiatique, « Le consentement » est d'abord un livre bien écrit, très bien pensé, n’en déplaise à ceux qui y trouvent à redire.

Prologue brillant, épilogue magistral, « Le Consentement », écrit sans voyeurisme ou détails graveleux, dans une langue toute classique est un bijou littéraire.

On ressent aussi le courage et l’attente qui a précédé cette publication qui n’est selon moi certainement pas tardive, mais qui a dû trouver son heure pour avoir l’effet recherché, soit enfin ouvrir les yeux de ceux qui en France minimisent ou excusent des délits aux motifs à ne pas mettre en cause un auteur génial.

Vanessa Springora évoque ces protections qu’on accorde à ces artistes du Panthéon comme on l’a également encore récemment accordé aux hommes d’Eglise. Elle parviendra donc à atteindre son objectif et tardivement mais sûrement enterrer cet écrivain, un peu comme un vieux nazi qu’on retrouve des décennies après la guerre, caché dans un monastère d’Asturies.

Ce livre constitue aussi une réhabilitation de l'écrivain Vanessa Springora, lolita innocente, victime d’un manipulateur, pervers narcissique qui a fait d’elle sa chose et qui grâce à sa publication la révèle comme une autrice de grande qualité.

un récit émouvant au possible

9 étoiles

Critique de CHALOT (Vaux le Pénil, Inscrit le 5 novembre 2009, 76 ans) - 14 février 2020

« Le Consentement »
livre écrit par Vanessa Springora
éditions Grasset
206 pages
Janvier 2020


J'ai beaucoup réfléchi en lisant ce livre …
Au début j'ai pensé aux amours d'une certaine professeure relativement âgée avec son élève qui forment un couple célèbre, mais peu à peu, toute comparaison s'est estompée, les histoires sont différentes.
L'auteure ne raconte pas l'amour entre une adolescente de 14 ans avec un quinquagénaire quelque peu « jouisseur » mais l'emprise exercée par un vrai prédateur sexuel sur une fillette pubère.
La jeunesse de Vanessa, l'éducation reçue, le divorce de ses parents et l'attitude de sa mère et son laisser-faire contribuent à installer un « terreau » .
Cette situation explique la fragilité de cette gamine mais n'explique, ni n'excuse la conduite de cet écrivain célèbre.
Monsieur G était coutumier du geste : il prenait et jetait des adolescentes conquises et « consentantes » et allait jusqu'à raconter ses aventures dans des écrits publics.
Non content de briser des jeunes filles , il allait à Manille pour trouver des proies masculines, des gamins de 11 ans pour en faire ses jouets sexuels.
Revenons à cette relation expliquée et racontée par la victime elle-même :
«  En réalité, à l'échelle de l'existence de G., je savais maintenant que ce désir pour moi était infiniment redondant et d'une triste banalité, qu'il relevait de la névrose, d'une forme d'addiction incontrôlable. »
L'auteure qui a dû se reconstruire difficilement, raconte plus de 30 ans après les faits, les circonstances qui ont permis cette rencontre et qu'elle ait pu tomber dans les filets de ce personnage adulé par ses pairs.
Comment ses proches, sa mère et son père informé ont-ils pu tolérer et laisser faire un abus sexuel, même si ce qualificatif n'est pas retenu par tout le monde ?
Il faudra longtemps à Vanessa pour qu'enfin, des années plus tard, elle trouve enfin auprès d'un homme aimé «  ce moment de découverte et de plaisir partagé, d'égal à égal ».
La justice va entrer en danse, maintenant, très longtemps après cette quasi-destruction d'une fillette.
Pourquoi à l'époque il y eut ce silence coupable ?

Jean-François Chalot

un témoignage intéressant

6 étoiles

Critique de Beatr (Nice, Inscrite le 7 février 2020, 34 ans) - 12 février 2020

Dans ce livre, la directrice de Julliard explique l'emprise exercée sur elle par Matzneff quand elle avait treize ans. Sur le plan littéraire ce livre mérite une note, car il est mal écrit, probablement par un "ghost writer". En revanche c'est un témoignage intéressant, plus un règlement de comptes que de la littérature.

"La réaction de panique des peuples primitifs devant toute capture de leur image peut prêter à sourire. Ce sentiment d'être piégé dans une représentation trompeuse, une version réductrice de soi, un cliché grotesque et grimaçant, je le comprends pourtant mieux que personne. S'emparer avec une telle brutalité de l'image de l'autre, c'est bien lui voler son âme..."

Un témoignage utile bien que tardif

8 étoiles

Critique de Veneziano (Paris, Inscrit le 4 mai 2005, 46 ans) - 19 janvier 2020

Cette éditrice livre une autobiographie sous l'initiale de son prénom V., , pour décrire le caractère gênant de son premier amour, avec un écrivain de renom, G.M., qui assumait son attirance pour les adolescents des deux sexes, comme sa pratique, cela est cohérent, pour le tourisme sexuel. L'ayant rencontré par le biais de sa mère, la narratrice tombe immédiatement sous le charme de ce quinquagénaire qui lui fait de l'oeil, alors qu'elle n'a que treize ans. Elle est placée sous son emprise, consent à ses lubies. Leur union devient dévorante, au point de sacrifier une grande part de ses études secondaires. Cette vampirisation donne lieu à une prise de conscience et à une rupture de sa part.
Cette liaison est connue du monde littéraire, de ses parents, et personne ne pipe mot, alors que l'intelligentsia des auteurs et penseurs, le plus souvent à gauche, approuve, ou donne au moins son blanc-seing, à cette pratique sexuelle pour le moins déroutante. Les enquêtes de police n'ont pas abouti, et le silence assourdissant de l'entourage, familial tant qu'intellectuel, laisse pantois.

Ce récit glaçant est éminemment utile. Il incite à réfléchir sur l'idée de majorité sexuelle, de "consentement" et de l'âge où il peut être donné envers un adulte. Il est juste étonnant et dommageable que ce témoignage vienne si tard, si bien que l'intéressé ne peut plus être poursuivi, en raison de la prescription des faits reprochés. Mais il n'est pas évident d'évoquer ce genre de choses, de porter plainte, de seulement en parler.
Ce livre permet une prise de conscience, et c'est déjà beaucoup. Les moeurs semblent évoluer en bien, me semble-t-il (sans provocation ni outrecuidance volontaire de ma part).

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  Affaire Gabriel Matzneff ? 80 Shelton 15 février 2020 @ 16:17

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