Mon combat, II : Un homme amoureux de Karl Ove Knausgård

Mon combat, II : Un homme amoureux de Karl Ove Knausgård
(Min kamp II)

Catégorie(s) : Littérature => Européenne non-francophone , Littérature => Biographies, chroniques et correspondances

Critiqué par Septularisen, le 16 décembre 2019 (Luxembourg, Inscrit le 7 août 2004, 56 ans)
La note : 10 étoiles
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DE LA BANALITÉ DE L’AMOUR!

«Un homme amoureux» est le deuxième livre de l’autobiographie (intitulée «Mon Combat» et qui compte six volumes, mais dont seul cinq ont été traduits en français au moment où j’écris ces lignes) de Karl Ove KNAUSGAARD (*1968 ci-après nommé KOK)

Alors que le premier volume racontait l’adolescence et ensuite la mort tragique du père de KOK, ce deuxième tome raconte, lui, sa vie amoureuse, mais aussi sa vie familiale et son travail quotidien d’écrivain en devenir. Cela commence pourtant tout simplement : par des vacances en famille complètement ratées, du fait de leurs trois enfants en bas âge et de la difficulté que KOK et sa femme ont à les élever et à les faire accepter par les gens chez qui ils passent leurs vacances!

Puis grâce à un «saut» dans le temps comme seul KOK en a le secret, nous apprenons comment il en est arrivé là. Après un premier mariage plus ou moins raté avec Tonje (que nous avions découverte dans le premier livre), il quitte la Norvège sur un coup de tête et s'expatrie dans le pays qu’il aime le moins, à Stockholm en Suède! Il y arrive seulement avec ses deux valises et mis à part Geir, un ancien ami, expatrié norvégien comme lui, il ne connaît personne! Il va ensuite retrouver Linda BOSTRÖM (qu’il avait déjà connue à un séminaire quelques années plus tôt), et dont il va tomber éperdument amoureux et qui lui donnera trois enfants. Voilà la trame de fond de l’autobiographie…

Et pourtant ce livre est tellement, mais tellement plus que cela! Car KOK sait parfaitement nous décrire le « cheminement » amoureux, le difficile apprentissage de la vie de couple, des tâches domestiques, son besoin de solitude, son envie d’écrire. On peut bien sûr ne pas toujours être d’accord avec KOK (c’est d’ailleurs mon cas!..), mais chaque lecteur s’y retrouvera à un moment ou à un autre! Car au fond au fond ce n’est pas un mauvais gars, ce n’est pas un bon gars, c’est juste un… Gars! Il « lutte » tous les jours pour être un bon époux et un bon père, mais il est souvent en proie à des colères, et est très impatient avec ses enfants quand ceux-ci ne lui obéissent pas! Les cours de rythmique postnatale, ou pousser le landau dans les rues de Stockholm, désolé ce n’est pas pour lui!... Lui ce qu’il veut c’est être seul et pouvoir lire DOSTOÏEVSKI, être seul et pouvoir écrire!...

Le style de KOK n’a pas changé dans «Un homme amoureux». On retrouve toujours ses descriptions minutieuses – trop minutieuses, parfois? – et ses sauts chronologiques impromptus dans le temps. Encore une fois c’est un livre qui «se mérite», et qui demande la plus grande attention, ne fut-ce que pour ne pas se perdre quand KOK passe d’une époque à l’autre, d’un souvenir au suivant!
L’écriture est, elle, toujours aussi belle, toujours aussi dense, – un grand bravo au traducteur -, c’est direct, franc, réaliste, intime, spontané, sans fioritures, sans compromis, sans idéalisme en un mot «brut de décoffrage»!
C’est écrit toujours avec autant de talent, pour raconter ce qui au fond n’est qu’une vie de tous les jours et une histoire du quotidien (très quotidien d’ailleurs…), somme toute banale. Aucun détail de cette vie ne lui échappe. KOK peut ainsi nous parler de changer les couches de ses enfants, des dîners avec ses amis, des recettes de cuisine, des promenades dans Stockholm, des courses au supermarché, de la jeune et jolie fille de la bibliothèque avec laquelle il coucherait volontiers, des relations houleuses avec ses voisins, de celle distantes avec sa famille.
Et bien sûr entre tous cela on retrouvera des fréquentes digressions, toujours très intéressantes je dois dire, portant sur tous les sujets. Car KOK n’a pas son pareil pour nous parler, du langage de Paul CELAN dans ses poésies, de la couleur dans les peintures de David HOCKNEY et Georges BRAQUE, de l’idéal chrétien dans les livres de Fiodor DOSTOÏEVSKI, de la couleur de la neige dans les tableaux de Claude MONET ou Frits THAULOW, de la notion de «Monde nihiliste» chez Ernst JÜNGER …
Une écriture ciselée et qui donne toujours envie de tourner la page et de savoir ce qui va suivre. J’ai même du m’astreindre à ne lire qu’une cinquantaine de pages par jour, au risque de faire une «overdose» de lecture!

Je finis sous le charme, complètement envoûté par l’écriture de KOK. Une vraie jubilation! C’est l’œuvre d’une vie, le livre d’une vie, et nous lecteurs avons le privilège absolu de pouvoir y pénétrer sans aucune restriction! Un vrai bonheur!

Karl Ove KNAUSGAARD a reçu le Prix Malaparte en 2015, et le Prix Nordique de l’Académie Suédoise en 2019. Son nom est évoqué régulièrement parmi les outsiders possibles pour le Prix Nobel de littérature.

P.S. : Si comme moi vous lisez l'édition de poche Folio Gallimard, gardez près de vous «wiki», parce que, si pour les habitants de la Scandinavie c’est évident, nous dans nos pays, ignorons complètement qui sont : Sven STOLPE (1905 – 1996) ; Lars NORÈN (*1944) ; Kristian PETRI (*1956) ; Lars JAKOBSON (*1959) ; Ann JÄDERLUND (*1955)…

Un extrait représentatif (Pg. 88/89) :

«Je reposai le verre sur la table et écrasai ma cigarette. Il ne restait rien de mes sentiments à l’égard de ceux avec qui je venais de passer plusieurs heures. On aurait pu tous les brûler sans que j’éprouve quoi que ce soit pour eux. C’était une règle de vie. Quand j’étais avec les autres, je me sentais lié à eux, incroyablement proche d’eux et mon empathie pour eux était profonde. Si profonde même que leur bien-être passait toujours avant le mien. Je me soumettais à eux jusqu’à l’effacement et, par un mécanisme interne que je ne contrôlais pas, je faisais passer leurs réflexions et leurs opinions, quelles qu’elles soient, avant les miennes. Mais dès que j’étais seul, les autres ne signifiaient plus rien. Non pas que je ne les appréciais pas ou les avais en horreur, au contraire, j’aimais la plupart d’entre eux et ceux que je n’aimais pas vraiment, je leur trouvais toujours une qualité qui me plaisait ou du moins que je trouvais intéressante et qui pouvait m’occuper l’esprit dans l’instant. Mais les aimer ne voulait pas dire que je m’intéressais à eux. C’étaient les contingences sociales qui me liaient, pas les gens. Entre les deux, il n’y avait rien. Soit j’étais dans l’étroitesse de l’effacement, soit dans l’ampleur de la distanciation. Or la vie quotidienne se jouait entre les deux. Peut-être était-ce pour ça que j’avais tant de difficultés à la vivre. La vie quotidienne, avec son lot de devoirs et d’habitudes, je l’endurais. Mais elle ne me réjouissait pas, je n’y voyais aucun intérêt et elle ne me rendait pas heureux. Ce n’était pas le manque d’envie de laver par terre ou de changer les couches mais quelque chose de plus profond que j’avais toujours ressenti : l’impossibilité d’y voir une quelconque valeur doublée d’une profonde aspiration à autre chose. Si bien que la vie que je menais n’était pas la mienne. J’essayais de la faire mienne, c’était mon combat, je le voulais vraiment, mais en vain, car mon envie d’autre chose vidait tout ce que je faisais de son contenu.»

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