Zouleikha ouvre les yeux
de Gouzel Iakhina

critiqué par Myrco, le 7 février 2020
(village de l'Orne - 74 ans)


La note:  étoiles
Captivant...
Bien que paru en Russie en 2015, ce premier roman de Gouzel Iakhina renoue avec la tradition du grand roman russe, invitant le lecteur à suivre les destinées dramatiques de personnages piégés dans le maelström de la grande Histoire.

Le roman débute vers 1930 dans la région de Kazan en Tatarie (aujourd'hui République du Tatarstan) dans le contexte de la dékoulakisation et de la collectivisation forcée de l'agriculture décidées par Staline. Les paysans, même s'ils ne possèdent que peu et n'emploient aucune main d'œuvre, sont alors considérés comme exploiteurs et ennemis du peuple. Plusieurs millions d'entre eux seront déportés au fond de nulle part, dans la taïga sibérienne, afin d'y constituer des colonies d'exilés astreints à de lourds travaux.
Le récit est celui de cette déportation, d'abord de ce voyage interminable dans des conditions terribles, de faim et de froid, au terme duquel beaucoup ne parviendront pas, puis de la vie dans cette colonie au cours des seize années qui vont suivre. Il s'achèvera à l'issue de la seconde guerre mondiale.

Mais le récit est aussi celui du très long et douloureux parcours d'émancipation de Zouleïka, personnage attachant dont le destin éprouvant aura été le prix à payer pour se libérer de l'assujettissement aux règles de la communauté musulmane à laquelle elle appartient et qui l'a formatée en épouse corvéable à merci, totalement soumise au mari seigneur et maître adulé et à la volonté d'Allah. La vie au quotidien de la jeune femme, avant les évènements qui vont bouleverser son existence, nous est magnifiquement décrite en ouverture de l'ouvrage.
En parallèle, on suivra également la trajectoire d'Ivan Ignatov, officier de l'Armée Rouge, un pur et dur de la Révolution, homme de conviction fidèle à sa cause mais aussi homme de bien attaché à ses principes qui se retrouvera malgré lui à porter la responsabilité d'un convoi de déportés.
Aux côtés de ces personnages denses, qui vont peu à peu se révéler en profondeur au gré des évènements, l'auteure fait vivre toute une galerie de personnages secondaires non dénués d'intérêt que ce soient le droit commun Gorelov, vil et opportuniste, ou le groupe des intellectuels ou artiste de Leningrad qui partagent le même sort.

Le roman réunit tous les ingrédients propres à susciter l'engouement du plus grand nombre. Il allie avec bonheur information et émotion. Il réunit à la fois un aspect document historique (assez peu exploité à ma connaissance en marge de la littérature habituelle du goulag), un aspect document ethnique sur la culture tatare (croyances, moeurs,. écriture…) et un volet romanesque qui ne manque pas de souffle entre parfum d'aventures et une histoire d'amour même si celle-ci est traitée de manière délicate très en arrière-plan.
A noter que concernant le volet historique, j'ai particulièrement apprécié la mise en avant critique des aspects délétères mais hélas universels du système ( incurie au plus haut niveau, caractère mensonger de la propagande, ingratitude d'un appareil qui broie ses meilleurs éléments, exploitation au profit d'intérêts personnels et autres dérives).

Ajoutons à cela une écriture de qualité, très visuelle qui nous fait vivre les scènes, des descriptions qui témoignent d'une belle sensibilité dans la restitution de la beauté de la nature et de la vie animale, des passages originaux et/ou un peu digressifs qui introduisent une certaine variété dans le récit (notamment plus vers la fin) ou lui impriment un relief particulier ("L'œuf" du docteur Wolf par exemple).

Il faut dire que si l'auteure rend compte des aspects très durs de cette tragédie, elle a choisi de mettre plutôt l'accent sur la capacité de certains à s'adapter, la part d'humanité puisée dans les ressources de la volonté, de la solidarité, de l'amour maternel mettant en avant la lueur d'espoir qui peut subsister dans la noirceur du monde.

En conclusion et malgré quelques éléments plus ou moins téléphonés ou crédibles qui alimentent le côté romanesque et sur lesquels je n'ai pas envie d'épiloguer, j'avoue sans complexe avoir passé un excellent moment de lecture.
Manque de souffle. 4 étoiles

Ce livre m’a déçu parce que je m’attendais à un roman sur fond d’histoire dans la tradition des grands romans russes. Dans Zouleikha il y a bien sûr un fond historique : ça raconte la déportation de populations dans les goulags de Sibérie. Mais c’est surtout, et presque exclusivement, la vie de Zouleikha : Zouleikha est mariée, Zouleikha attend famille, Zouleikha accouche, Zouleikha nourrit son bébé, Zouleikha prend un amant… Fallait-il pour ça la conduire au fin fond de la Sibérie ? Mais finalement, pour elle, la Sibérie c’est mieux qu’avant ; le camp où s’établissent les déportés ne ressemble en rien à l’idée qu’on se fait d’un goulag sibérien. Ce serait plutôt un camp de vacances pour gentils aventuriers où même les méchants finissent par devenir gentils.

Mais trop c’est trop quand le récit prend des allures d’un roman à l’eau de rose, si pas d’un conte de fée : quand par exemple, un ours vient juste au bon moment pour sauver Zouleikha d’un viol ; ou quand Zouleikha, devenue Diane chasseresse, arrive juste à temps, en pleine nuit, pour sauver son cher petit de l’attaque d’une meute de loups… Non, décidément, j’ai senti trop de guimauve dans ce long récit et, chez moi, la mayonnaise n’a pas pris.

Reste que l’écriture est vraiment sublime et on se dit qu’elle aurait pu servir un somptueux roman dans la grande tradition russe plutôt qu’un joli roman d’une trop touchante héroïne.

Saint Jean-Baptiste - Ottignies - 88 ans - 27 janvier 2021


Incroyable Zouleikha 9 étoiles

Zouleikha, jeune femme Tatar mariée depuis 15 ans à Mourtaza, de 30 ans son aîné, vit dans le village de Ioulbach. Ses quatre petites filles mortes, elle est seule, vivant, entre son mari et son abominable belle-mère La Goule, une vie d’esclave.
En 1930, les musulmans sont aussi des victimes des terribles bouleversements qui frappent la Russie. La jeune femme se retrouve emmenée dans un convoi, pour un interminable voyage jusqu’en Sibérie.
Et le chef de cette expédition, Ivan Ignatov Vania, est celui qui menait l’intervention dans son village. Mais lui aussi est pris dans les rouages de la révolution, et tentera jusqu’au bout de remplir sa mission, aussi difficile et cruelle soit-elle. "s’il devait se souvenir de tous les paysans qui se sont jetés sur lui…, sa vie n’y suffirait pas…. Il a déjà toute une division qui s’est installée dans sa tête. S’il pouvait seulement sortir tous ces visages de sa mémoire, mais il n’y arrive pas."
Surtout quand il croise Zouleikha , incroyable jeune femme, qui parviendra à survivre, qui parviendra à s’adapter aux environnements, aux situations les plus hostiles, dans des conditions impressionnantes.
"Tout ce que lui avait appris sa mère, qui était considéré comme juste, comme nécessaire, dans sa vie à demi-oubliée... s’était émoussé, effrité, effondré. Les règles n’étaient pas respectées, les lois se changeaient en leur contraire. En retour d’autres lois apparaissaient, de nouvelles lois s’établissaient."

J’ai retrouvé dans la partie historique du roman, de nombreux points communs avec le livre de Paul Greveillac, Maîtres et esclaves , le sort terrifiant d’êtres humains sacrifiés au nom de la Révolution chinoise pour l’un, soviétique pour l’autre.
Et hasard des lectures, alors que je finissais la lecture du récit , Baïkal-Amour d’Oliver Rolin, force m’était de constater que certaines choses perdurent à travers les années, l’organisation (ou son absence), l’arbitraire des décisions et la dure beauté immuable des paysages.

Mais ce roman, c’est d’abord la vie d’une formidable et attachante héroïne, à la fois faible et forte, et un récit d’aventure passionnant.

Marvic - Normandie - 65 ans - 28 octobre 2020


En pays Tatar et incursion en Sibérie au XXème siècle 9 étoiles

Ah la Sibérie ! Où faudrait-il déporter les importuns si elle n’existait pas ? Peu importe le dictateur russe en place, finalement, la Sibérie remplit toujours la même fonction : on y fait disparaître et souffrir ceux que le régime en place ne peut tolérer. Hasard de mes lectures, j’ai attaqué Zouleikha ouvre les yeux juste après la lecture de Une journée d’Ivan Denissovitch de Soljenitsyne. Je n’ai pas été dépaysé même si les époques ne sont pas les mêmes.
Années 30, en pays Tatar, Zouleikha est musulmane, mariée jeune et sans qu’on lui demande son avis à un homme plus vieux. Elle est un peu l’esclave de son mari et de sa belle-mère, d’autant qu’elle n’a eu que des filles qui, par ailleurs, n’ont pas survécu. On va dire que la vie de Zouleikha n’est pas idyllique !
Pourtant ça peut être pire. Ca va être pire, bien pire, puisque Staline est au pouvoir et une gigantesque entreprise de dékoulakisation est lancée. En gros le mot d’ordre pourrait être « Tuez les tous, Dieu reconnaîtra les siens ». En pratique, son mari est tué, tous ses biens sont confisqués et Zouleikha est mise dans un convoi en route depuis Kazan jusqu’au-delà de Krasnoïarsk, bien au-delà, là où il n’y a plus de routes et où il faut remonter les fleuves, se battre avec les moustiques et survivre au froid extrême. En quelque sorte elle est « colon », colon forcée et à qui on n’a rien demandé mais grosso modo ou elle lutte pour sa survie – et la gloire du pouvoir soviétique – ou elle crève, de froid, de faim, ou les deux si c’est plus pratique.
On ne saurait omettre un autre personnage important ; Ivan Ignatov, un officier de l’Armée Rouge. C’est lui qui la capturera, tuera son mari et sera son chef de camp en Sibérie à des milliers de kilomètres du pays Tatar. Personnage important puisque des relations particulières vont relier ces deux-là.
Toujours est-il que Gouzel Iakhina va dérouler la vie de Zouleikha dans une stricte chronologie. On va souffrir avec elle, s’éveiller (un peu) à la vie, « ouvrir les yeux » et c’est particulièrement saisissant et touchant. Il y a un grand souffle typiquement russe (sibérien ?!) dans ce roman qui m’a évoqué aussi Volia Volnaïa, de Remizov, un autre grand roman sibérien lu récemment (je dois être dans une période russe !!).

Tistou - - 67 ans - 6 juillet 2020


Jeune Tatare 10 étoiles

Magnifique premier livre.
Dès les premières pages on tombe sous le charme de Zoulheikha, on a l’impression de l’accompagner tout au long du roman.
Encore une partie de l’histoire que je ne connaissais pas.
Ce livre agréable m’a beaucoup appris.
A lire…

Koudoux - SART - 59 ans - 29 juin 2020


Un terrible chemin vers l'émancipation ! 10 étoiles

Gouzel Chamiliovna Iakhina (1977- ) est une écrivaine russe.
Son 1er roman "Zouleikha ouvre les yeux" consacré à la dékoulakisation des années 1930 est nominé pour le Prix Bolchaïa Kniga.Il paraît en France en 2017.

Les années 1930 en URSS. Les purges Staliniennes déportent des millions de personnes en Sibérie pour construire un kolkhoze, idéal socialiste d'un état qui prône l'égalité pour tous.
6 millions d'hommes et de femmes qui -comme Zouleikha- ont vécu en" colonie de peuplement spécial".
Des déportés, arrachés à leurs villages, contraints de rejoindre la Sibérie au prix de longs voyages dans des conditions souvent inhumaines. De véritables déportations, en train, en péniche et à pied.
Des convois qui parviennent sur les bords de la rivière Angara après de très lourdes pertes humaines.
Zouleikha est l'une d'entre eux. Jeune femme de 19 ans, maltraitée par son mari et sa belle mère, propulsée dans cette incroyable aventure, sous la férule d'un intégriste de la Révolution, Ignatov.

Un très grand roman russe (Tatar) sur une page trouble de l'histoire de l'URSS au travers 2 personnages qui semblent -au début du roman - irréconciliables. Ignatov, le militaire, celui qui dirige le convoi et qui doit "dresser " ces âmes égarées.Et Zouleikha, jeune paysanne tatare de 19 ans qui va se découvrir enceinte pendant le voyage.
Ce roman est d'abord celui de la libération d'une femme soumise. Un long chemin, semé de souffrance et de petits instants de bonheur, vers un affranchissement progressif.
Une oeuvre incroyable, dure et éblouissante à la fois. Riche en Histoire, en aventures, en symboles. Des moments de grâce, des personnages secondaires attachants, qui réhabilitent les "déchus", leur redonnent leur brillance.
Une lecture addictive tenue à bout de bras par Zouleikha et Ignatov.
La scène finale est admirable, magique, et ouvre l'histoire à la réflexion du lecteur.
Un 1er roman comme un coup de maître !

Frunny - PARIS - 58 ans - 26 juin 2020


Entre Kazan et Krasnoïarsk 7 étoiles

Quel beau roman Gouzel Iakhina a écrit là ! Il vous transportera entre Kazan et la lointaine Sibérie, du côté de Krasnoïarsk. Je trouve qu'une des réussites du livre est que l'autrice réussit un mélange très équilibré entre plusieurs genres: Zouleikha ouvre les yeux à la fois un documentaire historique à l'époque des grandes purges staliniennes des années 1930/1940 et le récit intérieur d’une femme, celui de Zouleikha, dont nous découvrons les drames intimes. C'est aussi l'épopée pourrait-on dire d'un groupe d'hommes et de femme, déportés au fin fond de la Sibérie, belle et sauvage, mais où ils devront lutter pour survivre, avec qu'il faut d'héroïsme, de tragédies et d'espoir.

Il faut souligner que si le livre est fondamentalement d’une grande dureté (dureté domestique : voir les premiers chapitres éprouvants concernant la vie quotidienne de Zouleikha ; dureté historique : exécutions et morts s’enchaînent sans fin dans ses temps troublés), Ioulina Gazeila parvient à mettre de l’espoir, presque de la fantaisie, grâce à certains personnages (le docteur Wolf et son œuf), certains épisodes (je pense à ce moment où l'affreux commandant Kouznets vient faire une descente dans l'atelier du peintre Ilia Petrovitch et où tout se finit par un retournement de situation plutôt comique) et par une très grande sensibilité. Le tout forme ainsi une œuvre au scénario rythmé, cinématographique, délicate et extrêmement bien écrite.

Fanou03 - * - 48 ans - 11 février 2020