La société pure de Darwin à Hitler de André Pichot

La société pure de Darwin à Hitler de André Pichot

Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Economie, politique, sociologie et actualités , Sciences humaines et exactes => Histoire , Sciences humaines et exactes => Scientifiques

Critiqué par Eric Eliès, le 16 novembre 2019 (Inscrit le 22 décembre 2011, 49 ans)
La note : 8 étoiles
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les liaisons dangereuses de la politique et de la biologie génétique

Ce livre, dont certains passages peuvent susciter la polémique, est issu d’une double colère face, d’une part, à la publicité donnée à certaines thèses pseudoscientifiques assimilables à une résurgence de la pensée raciste et eugéniste et face, d’autre part, aux discours simplistes, à la limite de la falsification historique, des militants de l’antiracisme. Sans épouser une cause ou à l’autre, l’auteur cherche, avec un humour parfois très caustique, à dénoncer l’amateurisme scientifique et l’aveuglement idéologique qui faussent notre compréhension des théories racistes et/ou eugénistes qui ont éclos au 19ème siècle et ont prospéré au 20ème siècle, et influencent encore notre conception de l’homme.

Aujourd’hui, le racisme et l’eugénisme sont associés au nazisme et aux régimes qui ont collaboré avec l’Allemagne hitlérienne. Ainsi, en France, l’œuvre d’Alexis Carrel est vilipendée au nom de sa proximité avec le régime de Vichy qui, pour la plupart des média, suffit à déconsidérer les thèses eugénistes exposées notamment dans « L’homme, cet inconnu ». L’auteur souligne qu’Alexis Carrel n’a pourtant, dans le contexte de son époque, rien d’un extrémiste et que l’eugénisme suscita les travaux et l’intérêt de nombreux chercheurs et philosophes, dont Julian Huxley (petit-fils de Thomas Huxley, qui fut un proche de Darwin) qui fut le premier président de l’Unesco et écrivit dans « L’homme, cet être unique » :

L’existence de différences génétiques marquées dans les caractères physiques rend probable, à première vue, qu’il existe également des différences dans l’intelligence et le tempérament. Par exemple, je considère comme absolument probable que les nègres authentiques ont une intelligence moyenne légèrement inférieure à celle des Blancs ou des Jaunes.

La notion de race est enracinée dans la philosophie européenne et l’auteur attaque, parfois très violemment, la probité scientifique de Darwin. Et le rapprochement, dans le titre de l'ouvrage, des noms de Darwin et de Hitler est tout sauf anodin ! En fait, pour l’auteur, la théorie de la « sélection naturelle » est essentiellement l’avatar pseudo-scientifique d’une philosophie sociale en vogue dans les pays anglo-saxons, fondée sur la compétition entre les hommes et entre les civilisations, avec une justification de l’hégémonie européenne et de la colonisation par une hiérarchie des races, résultant d'une guerre éternelle des races en lutte pour la domination (cf Ratzenhofer et Gumplowicz). Le darwinisme n’est qu’un roman anthropologique à succès, qui a émergé parmi d’autres, mêlant des concepts biologiques et des concepts socio-économiques auxquels il sert de caution scientifique. Et si l’Eglise catholique s’est opposée fortement aux théories évolutionnistes, ce n’est pas au nom d’une lecture étriquée de la Bible ou d'une conception rigoriste du créationnisme mais pour défendre la doctrine sociale de l’Eglise, qui s’oppose aux implications politiques de la lutte pour la survie qui aboutit à justifier l’écrasement du « faible » par le « fort ».

C’est le triomphe du fascisme et du nazisme qui a conduit à remettre en cause les concepts de l’eugénisme. Mais cette remise en cause est très ambigüe et hypocrite car, en définitive, pour l’auteur, ce qui est reproché au nazisme n’est pas d’avoir été raciste ou eugéniste mais d’avoir été antisémite, c’est-à-dire d’avoir considéré une « race inférieure » (les Juifs) au sein de la « race blanche » ! Si les nazis s’étaient « contentés » d’éliminer (par euthanasie, stérilisation, etc.) les handicapés mentaux (qui furent les premières victimes des chambres à gaz), les tziganes et les races dites "inférieures", ils n’auraient fait rien d’autre qu’appliquer les principes d’une pensée communément partagée en Europe et aux Etats-Unis (cf l’extermination des amérindiens, des aborigènes d’Australie, etc.) D’ailleurs, de grandes fondations américaines ont financé des programmes eugénistes européens (y compris en Allemagne) et Alexis Carrel fut soutenu par la fondation Rockfeller. C’est la fusion de l’antisémitisme, du racisme et de l’eugénisme dans une doctrine globale qui constitue le crime impardonnable du nazisme, comme le démontre la focalisation du devoir de mémoire sur l'Holocauste, alors que les autres communautés ciblées par les nazis peinent toujours à susciter de l’empathie... D’ailleurs, la plupart des historiens les mentionnent à peine ! En fait, de nombreux pays européens anglo-saxons ont continué, après la guerre, à conduire des politiques sociales inspirées des principes eugénistes mais elles sont désormais menées sous des appellations politiquement neutres qui n’avouent pas leur nature eugéniste. Par exemple, la « société américaine d’eugénisme », très active, est devenue la « société pour l’étude de la biologie sociale ». Ces politiques ne suscitent pas de vive contestation et de nombreux travaux de recherche (pseudo)scientifique sur le génome ne visent en fait qu’à étayer, avec un vocabulaire renouvelé, les fondements de ce nouvel eugénisme.

En Europe, la France constitue un cas particulier car, au lieu de mettre l’emphase sur les processus de sélection et d’élimination visant à apurer la société des êtres jugés déficients, les biologistes français (Pasteur, Bernard, etc.) ont développé une approche hygiéniste au service de la société, sans préjugé sociologique ni visée politique. La France, en raison de la vigueur de sa pensée conceptuelle, a néanmoins fortement contribué au développement du racisme politique (l’auteur cite abondamment Vacher de Lapouge et Gobineau) mais c’est avant tout une réflexion théorique (et parfois très confuse) sur les races et l’aryanisme, qui a été récupérée, interprétée et déformée par les anglo-saxons (Chamberlain, etc.) pour ensuite être déclinée en appui d'un programme politique.

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