Un combat pour la nature : Pour une écologie de l'Homme
de François Terrasson

critiqué par Fanou03, le 12 novembre 2019
(* - 48 ans)


La note:  étoiles
Contre la "Nature en boîte"
Qu’est-ce que la Nature ? Que cache notre relation, avec elle, parfois paradoxale ? Les mesures de conservation qui sont prises sont-elles vraiment pertinentes ? C’est un peu toutes ces questions, et bien d’autres, que l’on retrouve dans Un combat pour la Nature de François Terrasson. Bien qu’il fit partie d’une institution parmi les institutions (il occupa un poste de maître de conférence au Muséum d’Histoire Naturelle à Paris), il eut une forme de pensée et d’approche méthodologique qui semble-t-il firent de lui un personnage controversé et « hors-norme ». A la lecture de cet ouvrage on imagine tout à fait pour quelles raisons !

Précisons que Un combat pour la Nature est un recueil de textes d’origine hétéroclites : interventions dans des colloques, correspondances diverses, chroniques journalistiques, textes jamais publiés, poèmes humoristiques... Tout cela donne la sensation d’un étrange méli-mélo, d’autant plus que le contenu est de qualité inégale. Mais des lignes de forces très claires se dégagent néanmoins à la lecture de l’ouvrage.

Ce qui tout d’abord n'est pour le moins pas orthodoxe (et qui lui a valu d’ailleurs les foudres de la Direction du Muséum d’Histoire Naturel) c’est sa réticence (voire son opposition) au principe même des zonages naturels protégés en tout genre (les zonages « Natura 2000 » en particulier). A la réflexion ses arguments s’entendent parfaitement. Ces zonages signifierait pour lui cloisonner la « Nature », la mettre « en boîte », les aménageurs se permettant tous les excès là où il n’y pas de zones de protection. Même ces zones protégés d’ailleurs n’échapperaient pas à une certaine forme d’aménagement, en étant largement équipées de façon à accueillir le public (ah, la détestation de François Terrasson pour les panneaux pédagogiques !), les reléguant presque au rang de « parc d’attraction ». Ce que réclame François Terrasson c’est que l’être humain vive « avec » la Nature et non pas « à côté de ». Il place ses espérance dans l’agroécologie, dans des modèles d’aménagement comme le bocage qui pour lui représente un certain équilibre réussi entre agriculture et Nature.

L’artificialisation et l’industrialisation de l’agriculture le hérissent. Il a très clairement un compte à régler avec les méthodes pratiqués par l’Office National des Forêts (ONF) qui selon lui oublie complètement ses fondamentaux en s’orientant vers une sylviculture intensive. S’ensuit dans l'ouvrage un droit de réponse de responsables de l’ONF qui s’en défend évidemment : les spécialistes jugeront qui a tort ou raison ! Et pourquoi donc ces cloisonnements, cette artificialisation, cette industrialisation, voire même en ce qui concerne l’éducation à la Nature ce refus de ne pas utiliser le ressenti et les émotions ? (« le propre de notre civilisation occidentale et industrielle est de combattre cette nature intérieure et extérieure en éliminant l’émotion, en tuant l’organique en en séparant le naturel de l’humain. »). Parce que l’être humain (en tout cas l’Homme occidental) a fondamentalement peur de la Nature, de sa sauvagerie : ainsi a-t-il un besoin irrépressible de la dompter ou de l'exclure !

A travers tous ces textes, souvent polémiques, parfois la forme l’emporte sur la rigueur nécessaire du fond. Les idées s'en trouvent parfois confuses, mais la lecture de Un Combat pour la Nature n’en reste pas moins très aisée, et passionnante, tant l’ouvrage ouvre de pistes de réflexion ! Il se dégage aussi la personnalité attachante et, on le devine, sans doute volcanique de François Terrasson. Passionné par les questions environnementales, il prêche la pluridisciplinarité. Il s’est ouvert lui-même à la psychologie, l’ethnographie (car notre relation à la Nature est souvent irrationnelle nous dit-il), ainsi qu'à l’aménagement du territoire. Ses prises de position sont clivantes. Elles se discutent bien sûr (les zones protégées restent quand même des réservoirs biologiques permettant aux espèces d'essaimées; toute une réglementation existe, comme celle protégeant les cours d'eau et les zones humides, en dehors de ces zones protégées) mais elles ont le mérite de nous sortir de notre zone de confort.

Animé d’un grand humanisme, malgré ses emportements que l’on voit dans certains de ses écrits, François Terrasson déplore infiniment la rupture entre l’Homme occidental et la Nature, et en appelle justement à ce que nous nous réconcilions avec Elle... Un vœux pieux ?