Mourir avec la rivière
de Benoit Castillon du Perron

critiqué par Nordester, le 29 octobre 2019
( - 68 ans)


La note:  étoiles
LE FLUX ENTIER D'UNE VIE
Lettre envoyée par Jean Louis Bouttes, écrivain,
Spécialiste de Yung, et ami du défunt Roland Barthes

TRES CHER BENOIT

Tu as réussi à transporter le lecteur dans ta « bulle », ce qui est un vrai tour de magie. C'est un livre magnifique entre la symphonie, le jazz, ouvert comme il se doit pour le roman sur la multiplicité des genres et des médias, entraînant le lecteur d'une poussée incroyable à travers une fresque, presque une danse des vivants et des morts. En pleurs à chaque disparition de personnage rencontré. Cette générosité, cette affectivité ,n'empêchent pas le côté satirique et même bande dessinée. Le personnage de la mère notamment fait revenir souvent le rire. Mais même elle, on la sait sauvée par le regard narratif. Non seulement à cause de la météo mais aussi de la distance spirituelle.
Il y a quelque chose de Musil effectivement là-dedans.

.C'est le flux entier d'une vie, de la vie qui qui est capté.

La critique est parfois féroce mais cela empêche tout aplatissement. Le Christ ne faisait pas des compliments à tout le monde…
La remontée du temps tout au long du texte, pour moi l'apparition aussi des amis, Pascal notamment, font de ce livre un instrument mystique ; l'accès à l'éternel n'est pas barré, par une juste mis en place de la part éphémère.
La diversité des états, la richesse de l'écriture et sa précision se combinent à une puissance dessinatrice. Gravure, peinture, la télévision même, le cinéma bien entendu.
Les éléments terrestres, les feuilles écrasées la boue font communiquer morts et vivants. D'une certaine façon c'est un accés au plérome par le flux romanesque. Or la plupart du temps aujourd'hui l'issue est bouchée par Oedipe. Ici le complexe est totalement déplacé, bousculé, mis de côté. ( par exemple Pelos 253)
Le défilé des archétypes peut ainsi se dérouler sans problème, de façon somptueuse tout au long du texte.
Terminé le livre on a l'impression d'une initiation en tout cas l'avant-goût.

Chaque personnage est inoubliable, comme si son essence avait été captée par l'objectif.
Le dénouement mérite son nom. Les liens sont libres plus aucun nœud, mais la légèreté d'un mot d'esprit et d'une métamorphose. On y meurt avec la rivière.
Le rapport à la nature aussi beau que chez Rousseau dont la malice de la narration cite un passage , comique d'autant plus qu'il est différé, un moment en flottaison de lecture, est compliqué d'un élément plus charnel
A travers les poissons il s'agit d'incarnation ; car le vif déquillage d'un certain christianisme à travers la mère et quelques autres, n'empêche pas une vision presque franciscaine où le sentiment océanique Romain-Rolland est rendue moins abstrait par le plus vif de la tradition chrétienne, et les martyrs sont toujours là comme un choeur en arrière du roman. Il y a des moments de transfiguration comme dans cet épisode de foire ou l'on voit monter simultanément la mère et l'enfant bien au-delà du lot qu'ils ont gagné à cette loterie. Encore un exemple 242 dans l'évocation d'un printemps à Paris ou la lecture traverse une sorte de cascades lumineuses mêlant immeuble escalier les cheveux scintillants des jeune filles.
Les passages voltairiens peuvent d'ailleurs alterner avec les passages mystiques et fusionner même dans la série complète des grands saints illustrés, C'est en cela que je vois l'extrême malice du fil narrateur, ce don protéiforme offert par la seule lecture. Que demander de mieux

Comique absolu : au seuil de la deuxième demeure.
Comme ce mot demeure est bien choisi par l'amplitude des sens qu'il comporte ! Dans le moment même de ce comique la satire sociale la plus vive et l'évocation des esclaves dont on ne voit pas l'image.
Je pourrais aussi égrener les citations qui sont de purs délices d'écriture page 454 par exemple la définition métaphysique de Maï
Loin, loin de certains poncifs modernes, une rencontre du temps et de l'éternité.
De la durée dans toute son épaisseur, mais aussi de l'intemporel. Et cette profondeur de vision soutient l'envoûtement
Remonter le temps? Mais c'est beaucoup plus mystérieux car on a l'impression de se trouver simultanément en plusieurs moments séparés même par des années des siècles ce que suggère d'ailleurs le voyage en Grèce.
Et LE ROMAN LAISSE PASSER AUSSI LE RAYON DU CONTE DE FEES !