Espions
de Michael Frayn

critiqué par Jeparo, le 3 juillet 2004
(Bruxelles - 59 ans)


La note:  étoiles
une construction magistrale
En bon dramaturge qu'il est, Michael Frayn a monté là un texte avec un tel art du suspense qu'il y a gageure à vouloir en parler tant ce serait "vache" et dommage de déflorer ne fût-ce que le tout début du sujet.
Au départ, un vieil homme est invité par des réminiscences (odeurs végétales, un nom de buisson) à retourner sur les lieux de son enfance, il arpente une rue, une impasse, revoit toutes ces maisons, la sienne, celle de ses voisins et reconstruit peu à peu l'histoire d'espionnage enfantin qui a fait jadis basculer pas mal de vies dans la rue.
Chaque élément de l"enquête" progressive fait l'objet d'une irréprochable construction narrative qui tient en haleine : Stephen, le narrateur, s'en approche, s'en éloigne, il fait un détour et finalement lâche le morceau... Jubilatoire!
Une phrase de six mots, prononcée par son ami Keith, quelques croix et points d'exclamation dans un agenda et voilà Stephen et Keith partis pour choisir un buisson comme poste d'observation d'où ils épieront les allers et venues d'adultes en surinterprétant (fallacieusement d'ailleurs) ces faits et gestes qu'ils noteront dans un carnet. Ils découvriront cependant quelque chose en suivant leur "proie" au-delà d'un tunnel. Tout va déraper et leur petit jeu soi-disant discret va tourner au drame.
Entretemps Stephen a sa vie familiale qu'il juge ultra-banale, des aléas scolaires (on tire beaucoup sur ses oreilles, le pauvre!), il vit sa première approche d'une fillette, Barbara, qui viendra le rejoindre dans le fameux buisson pour une ébauche de premier émoi et on le retrouve encore, ça et là, vieil homme parcourant la rue, interrogeant ses souvenirs sur ce qu'il y avait dans sa tête et son coeur à l'époque des événements.
Je ne veux pas en dire beaucoup plus sur l'histoire, tant le plaisir de la découverte dépend de la construction magistrale du roman.
J'ai craint en voyant approcher la fin que l'auteur laisse des points obscurs dans l'intrigue (encore qu'il disperse à droite et à gauche des indices assez clairs) mais que ceux que cela rebuterait se rassurent : le voile est totalement dissipé à l'extrême fin du texte.
La recréation convaincante et subtile (parce que sans cesse interrogée par une mémoire adulte) d'un univers enfantin ajoute à la qualité de ce roman dont le style pourrait être qualifié de lent, progressif et qui distille une réelle poésie.
Espionnage dangereux 9 étoiles

C'est une histoire de gosses qui s'inventent des délires dans un monde en guerre. Des récits d'espionnage qui prennent le dessus sur leur vie de tous les jours et vont peu à peu, à coups de filatures et de fouilles peu discrètes, bouleverser la vie de chacun. Le petit Keith fait une révélation à son copain Stephen. Deux mômes issus de classes sociales différentes et pourtant avides mêmes jeux et des mêmes rêves. La vie ne suit plus son long cours tranquille, les gamins s'organisent et à force de fouiller partout, ils vont finir par découvrir ce qui ne devait pas l'être.

Michael Frayn, avec tendresse et aussi dureté (nous sommes en guerre et les enfants savent être cruels), promène son lecteur de chapitre en chapitre, laissant entrevoir la possibilité d'une résolution de l'énigme mais à chaque fois, on va plus loin, on découvre autre chose. Tout se complique, tout s'assemble aussi. Jusqu'à la fin. Une fin surprenante, touchante aussi, donnant un sens nouveau au récit que l'on contemple alors avec un regard très différent, réalisant à quel point Frayn a pu gentiment berner son monde.
L'écriture est agréable, soignée, pas très enfantine, c'est un adulte qui nous raconte ses souvenirs d'enfant en guerre et jamais Frayn ne tombe dans le mièvre ou le puéril. Il arrive à donner un ton juste aux chagrins de Stephen enfant et aussi un regard froid et distant au Stephen devenu adulte et revenu faire un tour sur les traces de son passé. Une belle histoire!

Sahkti - Genève - 50 ans - 17 novembre 2005