Solaire
de Fanny Chartres, Camille Jourdy (Dessin)

critiqué par Cyclo, le 29 septembre 2019
(Bordeaux - 78 ans)


La note:  étoiles
Un frère et une sœur
Ernest, le jeune héros de "Solaire", roman pour la jeunesse de Fanny Chartres (premier que je lis d’elle, et je sens que ce ne sera pas le dernier), se retrouve coincé dans une vie chaotique, du fait qu’après le divorce des parents, les deux enfants passent la semaine chez la mère, anéantie par le divorce, devenue incapable de travailler, et sous hautes doses de médicaments, qui la rendent semblable à une loque, tout juste capable de se vautrer sur le canapé pour regarder la télé ou devant l’ordinateur pour jouer à des jeux vidéo (Tétrys, Sims) ou de piquer des crises d'angoisse. Certes notre Ernest, en CM1 et sa sœur Sara (en seconde au lycée), qu’il appelle "Ossette", se rendent bien compte que leur famille n'est pas comme "toutes les autres", mais ils se gardent bien de le faire savoir à l’entourage, copains d’école, personnel enseignant, de peur qu’on les sépare en les plaçant dans des familles d’accueil différentes. Tous deux sont "comme les deux doigts de la main", inséparables malgré leur différence d’âge.

Les déficiences de leur mère les obligent à faire les courses, le ménage, à préparer les repas (le menu est hebdomadaire et peu varié), et à aller à la pharmacie chercher les médicaments prescrits par le "Grand Médecin" (probablement un psychiatre) ou le "Petit Docteur" pour le quotidien dépressif de la mère. Ce qui va déclencher le côté solaire d’Ernest, l’obliger à se surpasser, à se comporter presque en adulte, c’est quand l’infirmière scolaire du lycée, Jeanne (il la trouve très belle) le fait appeler (l’école primaire est voisine du collège et du lycée) parce que Ossette a fait un malaise : "J’ai l’impression que Sara ne se nourrit pas assez", lui explique Jeanne. Ernest se sent assez fort pour tenter de redonner le goût de vivre à sa sœur, et surtout de l'appétit.

En même temps Ernest est un bon lecteur, et ce qui va l'aider, c'est de faire appel en imagination à des personnages issus de ses lectures : certains sont maléfiques, comme le loup de l’album de Mario Ramos, "C’est moi le plus fort" ; d’autres bénéfiques comme le BGG ("Le Bon Gros Géant" de Roald Dahl). Ce qui donne au récit, raconté par Ernest lui-même une tonalité presque magique. Cependant le réel n’est pas escamoté. Mais la force de l’imagination du petit garçon, l’amour qu’il porte à sa sœur, et aussi l’aide qu’il rencontre auprès de Francine, une fille de sa classe, dont le frère Gaspard est dans la même classe qu'Ossette, de Lucien, le sympathique chauffeur du bus scolaire, et de Jeanne, l’infirmière, vont contribuer à les faire grandir tous, à faire assaut de générosité. Au loin, le père, qui aime beaucoup ses enfants, qu’il a de temps en temps en week-end (mais au retour, ils retrouvent la mère plus déprimée que jamais, se sentant "abandonnée") apporte une présence rare, mais positive.

Ce beau roman aborde un thème pas si fréquent : la solidarité frère-sœur et le situe dans un cadre un peu particulier, celui de la famille éclatée et disloquée, du divorce qui a aggravé qui les tendances dépressives de la mère, avec pour conséquence l'arrivée de l’anorexie chez la fille aînée. Ça, c’est le canevas réaliste. Mais les voies de l’imaginaire littéraire (outre Ramos et Dahl, l’auteur convoque Sendak et le poète Éluard) et celles de la chanson (Dalida, Aznavour et d’autres) jouent un grand rôle pour ensoleiller les cœurs, avec aussi l’aide d’un voyage au bord de la mer, à Saint-Malo. Pas de sensiblerie, pas d’édulcoration, le lecteur sait qu’on n’est pas dans une famille parfaite. Mais beaucoup de poésie (Ernest qui a repéré que sa sœur aime la poésie, lui concocte un livret de recettes poétiques pour les repas de chaque jour), d’émotion, de justesse et de sensibilité. Il en fallait pour que l’histoire soit crédible et surtout pour laisser in fine un brin d'espoir dans ce qui aurait pu passer pour un peu misérabiliste. Un roman pour les jeunes que bien des adultes devraient lire ! Car il démontre la puissance de la littérature et des pouvoirs de l'imaginaire qu'elle active pour mieux affronter des difficultés passagères et même, peut-être, changer la vie...