Sexe et mensonges
de Leïla Slimani

critiqué par Pucksimberg, le 14 septembre 2019
(Toulon - 44 ans)


La note:  étoiles
Enquête sur la vie sexuelle au Maroc
Leila Slimani a mené l’enquête sur la sexualité au Maroc en rencontrant et interrogeant un certain nombre de femmes. Cette recherche n’a rien d’impudique, au contraire elle démasque une certaine forme d’hypocrisie quant aux non-dits. La condition féminine est au centre de cette analyse car cette étude va au-delà de simples problèmes de couples. La société marocaine, sa hiérarchie et sa foi se fondent sur la place de la femme et sur son rapport au corps.

De toutes ces rencontres, il ressort que la vie sexuelle n’est pas épanouie dans ce pays à cause d’une certaine chape de plomb religieuse et de valeurs ancrées depuis longtemps. La femme existe pour procréer et cela se réduit à cela. Difficile pour une femme de parler de plaisir. L’homme décide du moment où il y aura rapport sexuel et il est assez effrayant de constater que le mot « viol » est fréquent dans les confidences de nombreuses femmes. Leila Slimani ne tombe pas dans l’écueil de la simplification. Elle ne dit pas que l’homme est monstrueux et sadique. Lui-même n’est pas sexuellement épanoui. Aux dires des divers intervenants, même aux yeux de la loi, tant que cette sexualité, quelle qu’elle soit, s’exerce dans un lieu clos, en toute discrétion, on tolère. On ne le crie pas sur les toits, mais on fait l’autruche. Cela n’empêche pas parfois la délation et des agressions sur des minorités, homosexuelles ou prostituées. Evidemment que les relations extraconjugales sont bannies et les rapports sexuels avant le mariage ne sont pas recommandés. Il y a encore ce culte de la femme vierge.

Mais une certaine hypocrisie prédomine, la police sait qu’il y a des milliers d’endroits dans lesquels les couples se retrouvent pour avoir un moment d’intimité de manière discrète. Parfois les services de sécurité font des rondes, d’autres fois ils ferment les yeux sur des phénomènes sus de tous, mais pas verbalisés devant tout le monde. Les conséquences de ce silence sur ce plaisir sont que certaines femmes souhaitent se refaire une virginité « médicalement » afin de pouvoir se marier, d’autres s’adonnent à des pratiques sexuelles pas forcément consenties mais permettant de protéger l’hymen, d’autres ont honte d’elles-mêmes ou en viennent à mentir …

Dans ses multiples rencontres, Leila Slimani a aussi côtoyé des femmes fortes, libres, qui assument leur sexualité. Certaines parlent avec humour et brisent les tabous. Nous avons une image de la femme voilée prude, ici on entre dans l’envers du décor et les clichés s’effondrent. Le poids du patriarcat et des devoirs religieux étouffent cette population qui s’autorise en secret certaines libertés. Faire en cachette c’est accepté car personne ne le voit. Il y a une forme de schizophrénie qui se dégage de certains témoignages qui fait assez peur. Les choses changeront. Leila Slimani parle de sexualité ouvertement et ce sont ces mensonges et cette hypocrisie malheureuse qu’il faudrait dynamiter.

Ce texte est intéressant pour ce qu’il révèle, pour la force de certains témoignages et pour la lumière qu’il apporte sur les Marocains. La plume de Leila Slimani ne m’a pas transporté. Elle a un côté journalistique, qui se prête bien à ce genre, et quelque peu oral comme si un dialogue ou une confidence s’instauraient avec le lecteur. Il n’en demeure pas moins que le texte est très éclairant sur cette société et sur la relation pernicieuse qui s’est instaurée entre sexualité et pouvoir.
Une vibrante analyse 10 étoiles

« Sexe et mensonges »
histoires vraies de la vie sexuelle
des femmes au Maroc »
essai de Leïla Slimani

238 pages
éditions les arènes
septembre 2021

Témoignages et réflexions

Ce livre ne plaira pas à ceux qui font du relativisme culturel et qui ne sont pas pour l'universalité des droits pour les femmes.
Par contre il plaît à celles et à ceux qui pensent que la libération des femmes, de leur sexualité est d'une actualité brûlante.
L'autrice, c'est ainsi qu'elle se présente, donne la parole à plusieurs jeunes femmes, certaines sont mariées, d'autres non.
Ces femmes témoignent à la fois leur difficulté d'avoir une vie sexuelle, libre et accomplie et à la fois de la situation paradoxale et contradictoire des femmes dans ce pays.
La loi est particulièrement réactionnaire, leur donnant un statut d'infériorité et les mettant sous tutelle de leur mari, mais par contre, les jeunes et les moins jeunes bafouent tous les jours cette loi et les tabous dictés par les religieux.
Beaucoup de personnes font l'amour où ils le peuvent, même et surtout si cette union est « illicite », les pauvres et c'est la misère sexuelle, le font dans les caves ou les voitures.... les riches, dans un hôtel.
Quand on est pris sur le fait, il suffit souvent de graisser la patte d'un policier.
A ceux qui, comme l'écrit l'autrice, l'accusent, derrière leurs bureaux des facultés françaises de « diffuser des « clichés orientalistes » et de nourrir un discours islamophobe », elle rétorque avec force, en s'appuyant sur des faits réels :
« A ceux-là, je dirai d'aller voir dans les prisons croupir les femmes adultères et les homosexuels dont les peines ne sont pas des fantasmes que j'ai inventés. »
Elle montre que c'est la lecture partiale et particulière des textes religieux qui « justifie » aux yeux des dirigeants les interdictions.
Elle rappelle et cite les références au plaisir et à la liberté sexuelle, les deux qui ont scandalisé l'occident il y a quelques quelques siècles jusqu'au 19ème.
Les femmes qui témoignent dans ce livre montrent bien que « tout est permis en cachette ».....
Certes mais rien n'est figé, la résistance s'organise et finira peut être à faire sauter tous les verrous de l'hypocrisie et de l'obscurantisme.

Jean-François Chalot

CHALOT - Vaux le Pénil - 76 ans - 8 novembre 2021