Journal d'un amour perdu
de Éric-Emmanuel Schmitt

critiqué par Nathavh, le 8 septembre 2019
( - 59 ans)


La note:  étoiles
Journal d'un amour perdu
"Maman est morte ce matin et c'est la première fois qu'elle me fait de la peine"

C'est ainsi que commence le dernier roman d'Eric-Emmanuel Schmitt, il nous parle du deuil et de la disparition de sa maman.

Un roman rempli d'amour pour la femme de sa vie, sa maman, pour qui il portait un amour incommensurable, fusionnel. Il vivait sa vie pour lui mais aussi pour elle, à travers elle.

Depuis toujours il en était très proche et vivait dans la peur de la perdre, la peur de l'accident tant cet attachement était fusionnel et essentiel.

Lorsqu'il apprend le décès, il ne comprend pas pourquoi il n'a rien senti. Et c'est tout le processus du deuil qu'il nous raconte.

Il est mélancolique et se penche sur ses souvenirs, ses découvertes. C'est sa maman qui lui a donné l'amour du théâtre par exemple, il avait dix ans lorsqu'il a vu sa première pièce, Jean Marais dans le rôle de Cyrano. En sortant il avait dit qu'il voulait un jour lui aussi devenir comédien.

Il revient sur ses souvenirs, ses relations avec son père, sur sa vie, sur l'écriture de Madame Pylinska, sur la tournée de "Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran"..

Nous avons tous nos disparus, nos deuils et l'on ne peut s'empêcher d'éprouver de l'empathie pour l'auteur, de la compassion.

Cette plume salvatrice est touchante de justesse, de sincérité et d'amour. L'écriture de ce journal à sa mère était indispensable pour avancer, pour faire son deuil, parler de ses souffrances avant d'arriver à la lumière.

Un récit touchant qui nous parle aussi de la dualité des émotions, en effet les sentiments vont toujours par deux ; la tristesse et la joie, l'espoir et le désespoir, la foi et le doute, l'angoisse et la confiance.

C'est lumineux, ce journal d'un fils à sa mère, il lui permet de quitter son ancien moi pour en découvrir le nouveau. Contente de renouer avec la plume de cet auteur. Un récit émouvant avec des mots justes.

Ma note : 9/10

Les jolies phrases

Séparés ? Si peu. J'ai d'abord vécu en elle, puis collé à elle une fois sorti de son ventre; ensuite, parce qu'elle me parlait, parce qu'elle me lavait, parce qu'elle me posait dans mon lit, parce que j'enlaçais ses bras, ses genoux, parce qu'elle m'effleurait d'un baiser ou d'une caresse, j'ai constaté que nous constituions deux personnes.

Une mort brusque offre du miel à celui qui se retire, un poison à ceux qui restent.

Une tombe. Qu'est-ce qu'une tombe ? Une trappe qui ne conduit nulle part. Une porte qui ne s'ouvre sur rien. Une surface qui veut nous persuader de sa profondeur. Un leurre.

L'amour existerait-il si l'on n'y croyait pas ?

Ce qu'il y a de beau dans un mystère, c'est le secret qu'il contient et non la vérité qu'il cache.

Le manque pèsera-t-il toujours plus lourd que le plein ?

Quand un enfant vient au monde, une mère aussi vient au monde. Chaque naissance est une double naissance.

Ce qu'on peut faire de mieux pour ceux qui nous aiment, c'est encore d'être heureux.

Vouloir être heureux et l'être ne vont pas simultanément. Cependant, on ne peut le devenir sans l'avoir décidé.

On occupe sa jeunesse à se préparer à vivre, sa vieillesse à se souvenir d'avoir vécu. Ce faisant, on rate le présent qui seul existe en tombant dans deux pièges, celui de l'avenir qui n'existe pas, celui du passé qui n'existe plus. Que de temps perdu ! Ou plutôt : que de présent perdu !

Les morts sont des vivants qui nous ont faits.

L'angoissant de l'angoisse, c'est qu'elle n'a pas d'objet. La peur désigne un ennemi. L'angoisse non.
"Le devoir de bonheur" 9 étoiles

E-E. Schmitt a eu une enfance heureuse dont il a déjà raconté de nombreux épisodes.
Il entretenait avec sa mère une relation presque fusionnelle avec cette femme formidable, douce et forte, ancienne athlète de haut niveau, passionnée de théâtre, des arts, tout au long de sa vie.
Sa mort, dans des circonstances "sordides" comme le dit l’auteur lui-même, le laisse anéanti, orphelin. Avec son art de l’écriture, il nous livre sa souffrance, ses pensées face à la mort de celle qu’il a tant aimée, mais aussi face à la sienne qui arrivera.
"La mort d’une mère ne ressemble pas à un accident, c’est prévu, dans l’ordre, on s’y attend. Quoi de plus normal ? La banalité du malheur ne le supprime pas."
Il se souvient de tous ces moments partagés intenses, le Festival d’Avignon, les voyages, les vacances.
L’heure de faire le point sur tout ce qu’il doit à sa mère ; pas seulement le bonheur d’une enfance choyée, mais aussi le rôle qu’elle a joué dans son métier d’auteur et de dramaturge. Et cette expression qu’elle employait qui l’a suivi, l’obligeant à tenir "son devoir de bonheur", même quand la souffrance devient trop lourde . "L’idée du suicide offre une consolation provisoire aux humains."

Même s’il n’existe pas deux mamans identiques, on se retrouve dans ces pensées, ces réflexions en tant qu’enfant, en tant que parent ; "quand un enfant vient au monde, une mère aussi vient au monde. Chaque naissance est une double naissance."
On éprouve tous cette nostalgie par anticipation, un sentiment aussi triste que doux : "ça, je le retiens,c’est beau et précieux." . Le sel de l’existence.
Comme on partage, en prenant de l’âge, cette conscience aiguë du temps qui passe, des gens qui partent, des moments qui ne reviendront pas.

Il pourrait paraître déplacé de narrer la bouleversante mort de sa chienne ; mais outre le fait d’alléger la culpabilité de ceux qui l’ont vécue, il explique combien ce départ en emportant avec elle une partie de sa vie, tant de souvenirs partagés, alourdit son deuil.
Et je partage aussi avec l’auteur cette "méfiance" des mots (trop) dits ; "les preuves d’amour valent davantage que des mots d’amour. Laissons les phrases aux menteurs ou aux paniquards.
Il ne faut pas abîmer l’amour avec des mots."

Il m’est parfois arrivé, parmi la vingtaine de titres lus d’E-E Schmitt, d’être déçue.
Mais je n’oublierai pas ce merveilleux message d’amour, qui rappelle que, tant que l’on est vivant, notre mère (père) l’est aussi, qu’il faut s’attacher aux choses précieuses transmises, apportées, malgré la douleur, le manque, et qu’après l’alternance de hauts et de bas, il est possible de retrouver la sérénité et un nouvel équilibre heureux.

Marvic - Normandie - 65 ans - 21 avril 2020


Récit d'un deuil qui semble impossible 8 étoiles

Eric-Emmanuel Schmitt égrène sa peine au fil des jours de deuil – deux ans – suite au décès de sa maman chérie. Il pointille ce récit de pensées, de sentiments, de réflexions qui forgent son cheminement intérieur. Le lecteur en retire de très belles phrases, dans un style merveilleux, très travaillé. Mais ce livre se lit vite (comme la majorité des écrits de l’auteur) et certaines pages ressemblent à une litanie de pensées éparses, fort découpées. Malgré la certitude de l’auteur de ne jamais pouvoir se remettre de sa douleur, le deuil fait son travail, inexorablement. Chacun se pense unique – et l’est -, mais nous passons tous par les mêmes stades (« Décidément, chaque individu se prétend différent et refuse de comprendre qu’il partage l’humaine condition. » « Rien de moins unique que de se croire unique »); EES ne fait pas exception (: incrédulité, révolte face à la vie quotidienne qui suit son cours sans soupçonner la détresse/tristesse, envie d’honorer la mémoire de l’être aimé par une tristesse inconsolable, prise de conscience de sa propre mortalité…) Au passage, EES mène presqu’une enquête partant de la conviction que son père n’est pas son père, s'appuyant sur leurs différences/différends et leurs incompréhensions respectives.
Un des récits les plus intimes de l’auteur, où il ose dévoiler sa fragilité.

Pascale Ew. - - 56 ans - 3 décembre 2019


Un deuil difficile 9 étoiles

Cet auteur célèbre depuis trente ans environ raconte avec pudeur et émotion assumée les difficultés de faire le deuil de la disparition de sa mère. Sans rentrer trop profondément dans les affaires familiales, il expose la force du lien avec cette dernière, l'aspect incontournable, indépassable du manque ainsi créé, au point d'avoir songé au pire.
Cet ouvrage est conçu non seulement comme un hommage, mais aussi et probablement avant tout comme l'explication d'un mécanisme psychologique de tristesse insurmontable et interminable qui surprenante le retour de la joie. Au-delà de son cas personnel, qui reste certes central ici, l'écrivain divulgue un mode opératoire, destiner à aider ses lectrices et lecteurs, avec qui il spécifie vouloir passer davantage de temps lors des dédicaces.
Touché de cette attention, soucieux du thème abordé pour avoir connu à plusieurs reprises ce genre de séparations plombantes, j'ai trouvé ce livre utile et beau.

Veneziano - Paris - 46 ans - 22 septembre 2019