Comme un écho errant
de Jean Meckert

critiqué par Cyclo, le 20 août 2019
(Bordeaux - 78 ans)


La note:  étoiles
Survivre après une agression
J’ai d’abord connu Jean Meckert sous le nom de Jean Amila, sous lequel il écrivit des romans noirs rageurs parus dans la Série noire, vrais cris de révolte d’un écorché vif, incapable de supporter les rapports de domination et de hiérarchie sociale, économique, politique, militaire, religieuse, qui imposent leurs carcans dans notre société. Mais sous son vrai nom, il a fait paraître des récits tout aussi âpres et tranchants mettant à nu l’hypocrisie sociale, les rapports de classe, avec ce rien d’insolence et d’anarchisme libertaires qui m’ont toujours plu.

Jean Meckert, qui est mort en 1995 et dont je viens de lire "Comme un écho errant", son roman publié posthumement (il fut refusé par Gallimard en 1986), véritable testament littéraire, a, semble-t-il, souvent mêler la réalité (la sienne) et la fiction. C’est le livre d’un revenant à la vie, car en 1975, Meckert fut victime d’une grave agression qui le laissa profondément amnésique, frappé d'épilepsie et diminué physiquement. Il venait de publier en 1971 un roman (devenu introuvable), "La vierge et le taureau", sur les essais nucléaires français dans le Pacifique. Censuré d’abord, puis retiré de la vente et pilonné (aucune bibliothèque universitaire française ne le possède !), ce livre lui valut les foudres de l’armée et des factieux, et Meckert fut toujours persuadé qu’il avait été attaqué par des nervis d’extrême-droite.

Son roman, largement autobiographique, revient sur l’agression dont il a été victime, surs les années de misère morale et physiologique qui ont suivi, sur les soins affectueux, quoique ambigus, de sa sœur et de leur mère vieillissante pour le ramener tout doucement à la vie et à la mémoire. Cette mère qui, pour faire taire les rumeurs (le père, anarchiste, avait déserté en 1917 et refait sa vie avec une autre femme), avait décidé de le faire passer pour un des fusillés pour l’exemple. Le fils, confié à un orphelinat protestant (qui lui donnera une solide haine des « singeries » religieuses), où il fut moqué par ses camarades à ce sujet (être le fils d'un "lâche" refusant de monter à l'assaut), souffrira de ce drame dont l’écho imprègne largement ce livre.

Sorti de l’école à douze ans, après le certif, il est apprenti (arpète) dans des ateliers électriques avant de faire divers petits métiers, éléments qu’on retrouve aussi ici. Car la reconstruction du héros (l'auteur lui-même ?) passe par ce retour sur un passé oblitéré, que sa sœur, sa mère, et une femme médecin l’aident à retrouver partiellement. Car il ne se fait pas d’illusions, il est vieux désormais, affaibli : "Je fais aller tant que je m’en sens capable. Je ne veux pas me boucler dans une vieillesse, sous prétexte de prévoir." Il relit ses livres ("Les lire, ou relire, ça faisait partie de cette reculturation volontaire pour oser croire qu’il était encore du monde des vivants"), y compris les polars, pour se comprendre à nouveau, agacé d’avoir "toujours été classé doux révolté, marginal, anar de banlieue et, pour tout dire « prolétarien », sous-catégorie littéraire totalement créée par de pédants intellectuels pour ne pas avoir à mélanger torchons et serviettes." Il essaie de récrire à nouveau.

Il ne peut pas s’empêcher de cogner sur le patriotisme : "Il n’y a jamais plus patriote indigné qu’un bon planqué", sur les militaires et les politiques : "La ville [Paris] était maintenant définitivement muselée, devenue vieille cocotte, aux mains des politiques et militaires, ces loyaux garants de toute souveraineté, toujours aptes à se couvrir de gloire en matant l’insupportable civelo comme, à plus d’un siècle, cette même armée d’Ordre moral s’était vengée d’une capitulation en flinguant par tombereaux les Communards", sur le colonialisme : "des événements plus récents en Canaquie rappelaient combien il paraissait normal à certains braves matamores de « casser » de l’indigène séditieux, avec la quasi-certitude d’obtenir un non-lieu", sur l’imposture de la guerre : "Et partout, comme toujours, les uns volaient la mort des autres pour s’en faire des médailles", et en particulier de la grande boucherie de 14-18 : "cet assassinat collectif dont il n’avait pas fallu attendre bien longtemps pour comprendre qu’il n’avait servi à rien, que c’était noire et sanglante imposture, crime imbécile de toutes ces castes dirigeantes, éternellement recommencé avec la peau des autres", guerre sur laquelle il écrira d’ailleurs un de ses plus beaux romans : "Le Boucher des Hurlus", signé Amila. Il critique aussi sévèrement la loi qui "n’est que l’expression des plus forts et qui n’a jamais rien d’absolu".

Il garde dans le fond de son cœur une pensée émue pour "ses petits anti-héros de papier [qui] avaient le profil de redresseurs de torts. Ça se faisait malgré lui, ça venait d’ailleurs, mais il en assumait volontiers toutes les conséquences" (y compris l’agression malveillante et gravissime dont il avait été victime). Sa femme (la "bonnefemme") l’a quitté, et à ceux qui lui disent : "Tu n’es tout de même pas un vieillard. Tu ne fais pas ton âge. Ça doit encore te travailler. Que fais-tu ? Masturbation morose ?", il choisit la solitude de l’écrivain. Et s’il vilipende "ces béats à bedaine qui suivent les rencontres de foot devant leur télé et se prétendent sportifs", il admire cette "bénévole, pleine de cœur, pas une âme charitable au sens étroit".

Bref, un très beau livre, écrit dans l’urgence de se retrouver, de se rebâtir, d’être à nouveau un être humain, comme il les aime, combatif, rebelle, refusant de se mettre à genoux.