Je suis Jeanne Hebuterne
de Olivia Elkaim

critiqué par Septularisen, le 31 mai 2020
(Luxembourg - 56 ans)


La note:  étoiles
LA MUSE DANS L’OMBRE DU GRAND AMEDEO MODIGLIANI…
Paris, décembre 1916. Jeanne HÉBUTERNE est une jeune fille de 18 ans, frêle et timide. Originaire d’une famille bourgeoise, elle peint modestement et vit à Paris avec ses parents, Eudoxie sa mère, femme au foyer et Achille, son père qui tient une mercerie.

Son frère André, également peintre à ses heures, est lui parti au front comme tant d’autres jeunes. Dominée psychologiquement par son frère, confinée dans son cocon familial et ses habitudes, elle a du mal à s'affirmer, et à croire en elle. Elle sort très peu de l’appartement de ses parents, situé rue Amyot et peint dans sa chambre.

Une de ses très rares distraction et occasion de sortie, sont les cours de peinture qu’elle suit à l’Académie Colarossi, rue de la Grande-Chaumière. Un soir, dans la pénombre d’un escalier de l’académie, elle tombe nez à nez avec Amedeo MODIGLIANI, peintre italien exilé à paris et de 18 ans son aîné.

Jeanne tombe immédiatement amoureuse de lui…

Idée très originale de l’auteure Olivia ELKAIM (*1976) qui, au lieu de mettre sur le devant de la scène la vie et l’œuvre d’Amedeo MODIGLIANI (1884 – 1920), qui ont déjà fait l’objet de nombreux livres, prends ici la contrepartie de l’histoire, et nous parle justement de celle dont personne ne parle jamais… Sa muse, modèle préféré et dernière compagne de sa vie: Jeanne HÉBUTERNE (1898 – 1920). Cette démarche est d’ailleurs la même que celle que l’écrivaine mexicaine Helena PONIATOWSKA (*1932), a réalisé avec son livre: «Cher Diego, Quiela t’embrasse» (ici sur CL : http://www.critiqueslibres.com/i.php/vcrit/7762), avec comme sujet Angelina BELOFF (1879 - 1969), la première femme du le peintre mexicain Diego RIVERA (1886 – 1957).

Ce roman, qui est en fait plus une sorte de biographie romancée, est assez inhabituel par son style d’écriture. Les phrases sont courtes, rapides, tranchantes, très saccadées. Elle se suivent parfois sans être la véritable suite l’une de l’autre, un peu comme une suite d’idées jetées sur un papier. C’est comme si l’autrice avait voulu restituer le rythme de vie des artistes de l’époque et en même temps, la frénésie des pensées de Jeanne HÉBUTERNE. C’est louable et original mais cela ne facilite pas du tout la lecture et il faut un moment pour s’habituer à ce style disons… déstabilisant! Et qui je pense, en rebutera certainement plus d’un!

Autre curiosité, si l’auteure cite les dates auxquelles se déroulent les différentes scènes de vie qu’elle nous représente, (chaque année est un chapitre), ces mêmes scènes ne sont séparées que par un simple astérisque. Résultat, on passe du «coq a l’âne», absolument sans prévenir, et il y a parfois trois idées, trois histoires, trois moments différents sur la même page, moments qui tiennent parfois en une seule phrase. C’est désarçonnant et parfois difficile à suivre. Le livre, - qui sans cela est, somme toute, très facile à lire -, requiert donc, malgré qu'il soit assez court (un peu plus de deux cent pages), une attention de tous les instants!

Sinon, c’est l’atmosphère dans laquelle baigne tout le récit qui m’a le plus intéressé. La description de ces années où la guerre est aux portes de Paris, et où pourtant, malgré la faim et la misère, la vie de bohème de ces artistes, - venus du monde entier, attirés par la liberté d’esprit qui règne alors dans la ville lumière -, continue de plus belle, et leur créativité artistique est à son summum…
C’est n’est d’ailleurs pas un hasard si l’on croise dans ce livre toutes les figures du Paris artistique de l’époque: Kiki de Montparnasse (Alice Ernestine PRIN 1901 – 1953), André BRETON (1896 – 1966), Chaïm SOUTINE (1893 – 1943), Maurice UTRILLO (1883 – 1955), Pablo PICASSO (1881 – 1973), Guillaume APOLLINAIRE (1880 – 1918), Lunia CZECHOWSKA (1894 – 1990), Blaise CENDRARS (1887 – 1931), Jean COCTEAU (1889 – 1963), Max JACOB (1876 – 1944), Constantin BRANCUSI (1876 – 1957), Ossip ZADKINE (1890 - 1967)…

Je termine avec l’impression d’avoir fait une très bonne lecture, c’est bien écrit, bien construit, bien amené, bien restitué. Je ne peux dès lors que vous recommander ce livre, que vous soyez amateur de peinture ou pas…