Qui sous le blanc se tait
de Erwann Rougé

critiqué par Eric Eliès, le 13 août 2019
( - 49 ans)


La note:  étoiles
Poésie du souffle, comme une respiration de la présence du monde
L’écriture poétique d’Erwann Rougé s’apparente à un exercice de respiration contrôlée. Fluide et maîtrisée, porteuse d’un souffle par lequel le poète communie avec le monde élémentaire, elle impose un rythme calqué sur un processus d’inspiration / expiration où les mots sont comme une buée déposée sur la page.

La couverture et le titre de cette petite plaquette m’ont initialement fait songer à la présence muette des choses, quand l’hiver les ensevelit sous la neige et impose un silence ouaté. Pourtant, le recueil, progressivement circonstancié, notamment par l’évocation des oiseaux « zanate », fut composé au Mexique en 2012, dans l’éclat d’un soleil abolissant les ombres. Qu’est-ce que, alors, le blanc qui colore le titre ? C’est la poussière flottant dans l’air, comme une odeur ou un nuage gorgé de pluie, et la lumière aveuglante qui « use l’écorce du jour ». Et ce qui se tait sous cette blancheur, c’est la nuit, tapie dans la brume humide du soir mais aussi celle, voilée dans l’indicible et l’indéchiffrable, qui stagne dans le silence des mots qui « flaque sa propre langue ».

ruelle d’odeurs flottantes / le vent est une poussière montante / qui essuie la sueur
alors fuyantes lignes / alors doucement lumière
dans la faille du passage / dans la blancheur muette
les humide accompagnent / la tombée du froid

La poésie d’Erwann Rougé s’inscrit dans un constant entre-deux et, multipliant les va-et-vient comme les oiseaux zigzaguant dans le ciel, se resserre, comme à l’affût, sur les ombres incertaines et tous les signes indistincts (bruits comme des murmures, oiseaux comme une écriture de l’air, nuances des couleurs qui parfois semblent éclater comme l’écorce d’un fruit et ouvrir des failles et des passages) qui trahissent la présence d’un monde, autre et un peu à l’écart, suscitant le désir et l’attente.

(...)
il faut tendre l’oreille / comme l’on fait toujours / quand on ne comprend pas
au moindre froissement de bruit / les voix tissent le fragile / et le tourment
le désir se pose / et remonte derrière la nuque.