La vie quotidienne sous Louis XIV
de Georges Mongrédien

critiqué par Alceste, le 11 août 2019
(Liège - 62 ans)


La note:  étoiles
Le Roi ne règne pas partout
À travers un fourmillement de faits concrets, d’anecdotes édifiantes et curieuses, horrifiques quelquefois, revivent sous nos yeux les travers, les étrangetés, les bizarreries, les petitesses – car il y en eut – du Grand Siècle.
L’auteur, un historien patenté, prend le parti de délaisser les habitudes réglées de la vie de Cour, abondamment décrite dans de nombreux ouvrages, et fidèle aux intentions de la collection, nous promène dans les rues de Paris, mais aussi en province, tant chez les bourgeois que chez les soldats, dans la noblesse rurale et jusqu’en prison.
Parmi les motifs d’étonnement, l’horreur de l’eau qu’éprouve la population dans son ensemble et qui explique une hygiène bien différente de la nôtre. Un traité de la civilité à l’usage de la bourgeoisie et de la haute noblesse pense d’ailleurs utile de préciser qu’il faut « essuyer ses doigts et ses couverts à la serviette et non à la nappe ».
Surprenante aussi la vie dans une prison « aristocratique » comme la Bastille. Écoutons Georges Mongrédien : « La plupart du temps, ces fils de familles imprudents restaient peu de temps à la Bastille et tiraient de leur séjour un motif supplémentaire de vanité. On estimait que quelques jours ou quelques semaines au plus de détention suffiraient à leur mettre un peu de plomb dans la cervelle. Généralement, ces prisonniers distingués avaient la « liberté » de la cour, où ils pouvaient prendre l’air et jouer aux quilles ou au tonneau, et de la terrasse où, malgré le guichetier qui les accompagnait, ils arrivaient souvent à communiquer par signes avec l’extérieur. Ils occupaient les plus belles chambres des tours, qui comprenaient chacune quatre à cinq étages de logements clairs et vastes, où cependant les barreaux des fenêtres et les verrous des portes leur rappelaient qu’il s’agissait d’une prison. Ces locaux, élevés de plafond, aérés, chauffés et meublés, n’avaient aucun rapport avec les cachots puants du Châtelet ou du For-l’Évêque. »
Moins réjouissant, les famines qui émaillent tout le règne et qui provoquent des révoltes désespérées, la population étant réduite, selon des rapports autorisés, à « manger du pain fait avec de la farine de gland ».
Mais ce qui frappe d’un chapitre à l’autre, c’est l’impuissance du monarque absolu de droit divin à faire respecter ses décrets. Que ce soit pour maintenir l’ordre public, lutter contre le pouvoir exorbitant des corporations ou apaiser les révoltes dues aux disettes, le pouvoir central doit souvent battre en retraite ou user de la force, en vain.
Un autre fil rouge est l’obsession du Roi à renflouer les caisses de l’État, toujours vides. À cette fin, tous les moyens sont bons.
Pour établir son exposé, l’auteur s’appuie bien entendu sur les grands textes emblématiques du règne, mais également sur d’austères archives, généreuses en chiffres de toutes sortes, qui garantissent le sérieux de l’étude. Ceci dit, le style n’est pas sec pour autant. On dirait qu’à force de fréquenter les écrits des La Bruyère, Saint-Simon, Vauban, la marquise de Sévigné ou Mademoiselle de Scudéry, l’auteur s’est forgé une langue spirituelle, toute en ironie et en pondération classique.
Il reste donc à regretter que l’ouvrage, datant de 1948, n’ait pas été jugé digne d’être réédité par les éditions Hachette, qui a confié le sujet à un nouvel auteur en 1984. Une bonne raison de sauver chaque exemplaire du pilon…