Nuit sorcière
de Evelyne Wilwerth

critiqué par Débézed, le 9 août 2019
(Besançon - 76 ans)


La note:  étoiles
Lettre fattale
Le 15 novembre, le beaujolais nouveau est arrivé mais il n’est pas venu seul, Lorenzo a reçu sa lettre, la fameuse lettre qui hante notamment tous ceux qui travaillent dans les grandes société industrielles risquant de migrer à la première opportunité vers des cieux plus propices aux investisseurs. Il n’a même pas besoin d’ouvrir l’enveloppe, il sait qu’il est bon pour monter dans la charrette, qu’il va quitter, l’entreprise, qu’il a perdu son emploi, son statut social, ses amis, … qu’il n’a plus rien, que sa vie est foutue. Toute la nuit il va dériver de bars en cafés, boîtes de nuit ou autres lieu où il s’enivre, perd ses repères, se dilue dans la nuit errant comme une épave symbolique de notre monde qui s’effrite bousculé par d’autres civilisations avec lesquelles il ne sait pas dialoguer.

Evelyne Wilwerth maitrise l’art de la nouvelle sur le bout des doigts (ceux qui tapent sur le clavier), elle explique même dans celle dernière ce qu’est cet art et toute la difficulté qu’il y a à produire une bonne nouvelle avec un nombre de mots requis mais pas plus. « La nouvelle est le genre littéraire le plus redoutable qui soit. Car on travaille sur le fil : l’équilibre entre l’explicite et l’implicite. Ou, en d’autres termes, un alliage très subtil du narratif et du suggestif … ». L’équilibre, son personnage semble bien fâché avec, mais, en revanche, celui du récit de l’auteure est particulièrement bien respecté. Le texte est bien rythmé, les phrases sont souples, fluides, le vocabulaire est riche sans être trop recherché et surtout la narration est très élégante, parfois expressive, souvent allusive, elle crée une atmosphère qui correspond particulièrement bien à cette histoire d’échec social qui se transforme en dérive humaine. En quelques mots, elle campe une directrice des ressources humaines ayant tout ce qu’il faut d’inhumanité, d’artificialité, d’antipathie pour en faire la parfaite incarnation de l’héroïne agonie qui fera basculer le héros sympathique inspirant la pitié, dans le malheur et la misère. « Puis son sourire, dents trop blanches, rouge à lèvre vermillon, peau tendue, effets de nombreux liftings, parfum divin, moi sans voix ». La femme glaçante et inaccessible, plus vraie que nature, à qui on ne peut rien rétorquer, esquissée en quelques mots seulement.

Une nouvelle comme Lamiroy en publie chaque semaine : quelques mots pour quelques sous et un bon moment de lecture où que vous vous trouviez. Ces textes sont présentés sur de jolies petites revues qui peuvent être glissées dans la poche même d’un short pour aller lire sous un bel ombrage en oubliant la canicule ambiante.