Une histoire populaire de la France: De la guerre de Cent Ans à nos jours
de Gérard Noiriel

critiqué par Colen8, le 3 août 2019
( - 82 ans)


La note:  étoiles
Sujets puis citoyens sous la férule de l’Etat
Sociologique autant que populaire cette histoire met l’accent sur les interactions et interdépendances entre des catégories s’opposant sans cesse sur un même territoire à des moments significatifs depuis la fin du Moyen Âge et de son régime féodal. L’historiographie récente minimise le rôle de Jeanne d’Arc dans le rétablissement de la royauté française opposée à l’Angleterre qui conduira peu à peu la France au rang de première puissance européenne après l’avènement de Louis XIV. Depuis des siècles tous les conflits internes et externes entremêlés créent un cercle vicieux récurrent : l’impôt ne rentre pas, son assiette portée par ceux d’en bas s’alourdit, les inégalités subies engendrent révoltes et répressions. Celles-ci culmineront lors de quatre révolutions successives en moins d’un siècle (1789, 1830, 1848, 1871) qui finiront par asseoir solidement la démocratie dans la République.
Auparavant les affrontements ne manqueront pas entre les factions d’une société en proie aux agitations de toutes sortes : l’affirmation du pouvoir monarchique, les baronnies neutralisées dans leur fronde par la vie de cour, la noblesse de robe s’arrogeant indûment la légitimité de moraliser l’Etat, les propriétaires terriens abusant de leur position, les bourgeois de ville soucieux de leur autonomie, les paysans et travailleurs journaliers, plus tard les ouvriers des manufactures succédant au travail à domicile de nombreux artisans qui deviendront le prolétariat. Tous alimentent une violence permanente faite de révoltes dans les villes et les provinces entre deux périodes de guerres civiles, de guerres de religion, de guerres de succession, de conflits armés contre les puissances voisines, de conquêtes coloniales.
C’est donc une histoire sur des siècles où les dominés paient un lourd tribut et reçoivent peu en contrepartie. Toujours précaires en étant soumis à l’arbitraire des privilégiés il leur faut affronter les impondérables multiples : crises sanitaires liées aux épidémies du fait de la promiscuité et de l’absence d’hygiène, crises alimentaires en raison des aléas climatiques et des conflits ruinant les récoltes, crises économiques quand la concurrence des produits étrangers prive de revenus entrepreneurs, artisans et commerçants, et bien entendu les inégalités fiscales. L’apaisement relatif intervenu depuis l’après-guerre a occulté les troubles de l’entre-deux-guerres qui ont amené le Front Populaire et les lois sociales que le grand patronat cherchera à freiner par la suite pour juguler un déficit public ayant atteint 160% du PIB…
Traumatisée par les victimes et les dommages du premier conflit mondial suivi d’un afflux de millions de réfugiés venant de l’est européen la population française a basculé dans une xénophobie et un antisémitisme totalement contraire aux principes d’universalité et d’égalité hérités de la Révolution. Russes et Arméniens, Ukrainiens et Polonais, Allemands et Juifs sont arrivés par vagues avant et après la Grande Dépression des années 1930 en même temps que pour fuir les régimes fascistes ou communistes. La législation s’est vite durcie envers eux puis envers ceux-là venus d’Italie considérés à leur tour comme indésirables. Trente ans plus tard et jusqu’à aujourd’hui les immigrés espagnols, portugais, turcs, ceux venant du Maghreb, d’Afrique et d'Asie, ont autant de mal à se faire accepter, sans parler des réfugiés pied noirs d’Algérie après 1962.
La parenthèse des Trente Glorieuses vite refermée après la crise pétrolière des années 1970, un néo-libéralisme soutenu par un capitalisme financier dévastateur pour les classes populaires s’est répandu sans frontières. Accompagnés par les technocrates de Bruxelles les milieux conservateurs s’efforcent de détricoter les lois sociales acquises quand les rapports de force s’y prêtaient. L’analyse de la politique du président Macron à partir de son livre programme « Révolution » et de la première année de son mandat n’incite guère Gérard Noiriel à l’optimisme pour celles et ceux qui occupent le bas de l’échelle sociale, sauf s’ils s’unissent à travers des mobilisations internationales via les réseaux sociaux.
C’est une impressionnante synthèse résultant de 40 ans d’une carrière centrée sur la vie ouvrière, les luttes sociales, l’immigration et de 10 ans de préparation qui donne matière à réflexion. Gérard Noiriel observe que la France s’est faite aussi par les classes populaires et par l’intégration des étrangers en une à trois générations avec l’école, le service militaire avant sa suppression, le travail ainsi qu’une proportion mesurable de mariages mixtes. Il souligne aussi une constante dans des oppositions binaires au sein de notre pays qui veut se voir en modèle pour les autres, mais se trouve parfois en décalage, voire en retard :
- Démocratie représentative contre démocratie directe
- Jacobinisme et centralisation contre autonomie des régions
- Discours national-sécuritaire à droite, social-humanitaire à gauche
- Crainte plus ou moins fondée des possédants qui ont le plus à l’encontre des « masses » qui ont le moins.