Ré-ensauvageons la France : Plaidoyer pour une nature sauvage et libre
de Gilbert Cochet, Stéphane Durand

critiqué par Fanou03, le 1 août 2019
(* - 48 ans)


La note:  étoiles
Loups, loutres, castors, bisons...
Le titre et le sous-titre résument très bien cet essai rédigé par deux biologistes naturalistes. Les auteurs partent d’un constat paradoxal : si d’un côté de franches réussites en matière de protection d’espèces sont indéniables dans certains secteurs (retour de la loutre, du castor, du loup, du grands-duc, des lamproies marines...), les milieux naturels continuent pourtant dans l’ensemble à se dégrader, ce qui impacte les populations de nombreuses espèces plus communes. Pour les auteurs, la France pourrait faire beaucoup mieux. Les pistes d’amélioration sont nombreuses : augmenter la surface des espaces protégés, durcir la sévérité des protections ; limiter drastiquement les activités humaines (chasse, et pastoralisme en particulier) ; pratiquer la non-gestion des espaces naturels (pour aller vers des forêts « primaires »), supprimer les obstacles à l’écoulement sur les cours d’eau... Deux propositions m’ont particulièrement séduit : la simplification des réglementations liées à la protection de la Nature, qui s’enchevêtrent parfois inextricablement au détriment de leur application, et la création d’un « Conservatoire des Forêts Sauvages », à l’image du Conservatoire du Littoral.

Attention, vous l’aurez compris sans doute, Le discours de Gilbert Cochet et de Stéphane Durand est clairement partisan. Mais leur rêve, le retour des espèces emblématiques (des grands mammifères en particulier) dans tous les massifs de montagnes et les grandes forêts, a quelque chose d’enthousiasmant, quand on a la fibre naturaliste. Leur analyse, qui met en valeur l’importance à reconnecter tous les milieux (marais côtier / fleuves / rivières / forêts alluviales / forêts de montagne / massifs montagneux) est éclairante et nous rappelle qu’en la matière il ne faut pas oublier de mener un raisonnement global. Une information m’a également surpris (et a surpris les naturalistes), c’est que des espèces, qu’on croyait exclusivement montagnardes ou rupestres (le hibou grand-duc, le grand corbeau), s’avèrent en phase d’expansion parfaitement adaptée à la plaine.

Le point de vue des auteurs, qui passe par le prisme de l’écologie, voire de l’écologisme, les conduit malgré tout, me semble-t-il, à simplifier parfois la complexité des problématiques. Celles du pastoralisme et de la chasse sont balayées d’un revers de la main, dans un rapport strictement manichéen, qui laisse sur sa faim, quoi qu’on pense de ces activités. Certaines assertions, à défaut d’être fausses, auraient mérité également des nuances : ainsi les Agences de l’Eau ne prennent 100 % des frais de destructions des barrages et des seuils que pour les collectivités, et pas systématiquement pour les propriétaires privés. Ce qui m’ennuie aussi c’est que les auteurs insistent beaucoup sur le retour des espèces emblématiques et peu sur l’amélioration des milieux. Ce retour des espèces « stars » apparaît comme une obsession qui a fini par me mettre mal à l’aise, tant elle ressemble à du "fanatisme".

Un des objectifs de l’ouvrage, « démontrer que favoriser le retour de la nature sauvage est un excellent moyen de créer des emplois et des opportunités » était louable mais n’est pas complètement atteint à mon sens. Les auteurs se contentent de donner quelques vagues éléments économiques concernant les parcs nationaux américains ou écossais, sans faire d’analyse socio-économique très précise. Un autre aspect m’a interrogé aussi : le livre aborde un type milieu naturel par chapitre (Montagnes, forêts, rivières...), mais exclut toute réflexion sur deux « espaces » à ré-ensauvager sans doute aussi : la plaine bocagère et rurale, et aussi le milieu urbain. Cette omission serait-elle révélatrice d’une certaine forme de nature fantasmée ?

Ré-ensauvageons la France ne convaincra que les plus convaincus. En attendant il interroge sur notre rapport à la Nature, et sur celui de la civilisation face à la « Sauvagerie ».