Parler croquant
de Claude Duneton

critiqué par Alceste, le 22 juillet 2019
(Liège - 62 ans)


La note:  étoiles
La langue française sur la sellette
« Imposture historico-politique », « langue de bourgeois, qui oblige à penser bourgeois », « langage d’archevêque », voilà les accusations que Duneton profère à l’endroit de la langue française dans son état actuel (celui de 1973, date d’édition de l’ouvrage), qui font un peu mal au cœur quand on aime sa langue maternelle, mais que Duneton étaie pourtant d’une manière qui donne à penser.

Tout commence avec le récit de son expérience d’enfant, où, en tant que rural du sud parlant l’occitan dans sa vie de tous les jours, il se voit imposer à l’école l’apprentissage du français comme d’une langue étrangère, sous les coups de la férule magistrale et dans le mépris de son « patois » quotidien.

Un retour historique s’impose. Alors que l’occitan était une langue vivante et prestigieuse, Richelieu, puis Louis XIV, dans une volonté de centralisation, imposent le français dans toute la France, et quel français ! Non plus la langue riche et savoureuse de Rabelais ou de Montaigne, mais un langage anémié, calqué sur les salons des précieuses et l’usage de la Cour, et strictement corseté par les règles de l’Académie française. Des épithètes dénigrantes accompagnent ici les noms les plus prestigieux du Grand siècle… Devenu la langue de la République, ce français est diffusé manu militari dans tout le domaine occitan, qui subit de la sorte une véritable colonisation, dont les instituteurs seront la main armée. Provenant de souche populaire, ces derniers se montreront oublieux de leurs racines et d’autant plus hargneux.

Le caractère aristocratique du français est démontré par des observations minutieuses, notamment sur la structuration du vocabulaire. Que de mots pour décrire l’univers du cheval, ou celui des bijoux, mais si peu pour les éléments de la nature ou de la cuisine. Par ailleurs, preuves à l’appui, Duneton montre combien le français recourt le plus volontiers à l’abstraction pour exprimer la pensée du locuteur. Autant d’obstacles à ce qu’il soit un vrai outil de communication pour tout un chacun.

Ainsi s’expliqueraient les faiblesses dont souffre le français, en comparaison notamment avec l’anglais, langue jugée plus démocratique par Duneton, et qui permet une vraie connivence entre tous ses locuteurs. Manque de vitalité face aux contraintes d’aujourd’hui, qui pousse les francophones à se tourner vers l’anglais ou l’argot pour s’adapter aux nouvelles situations de communication, enseignement de la langue teinté d’ennui, de rejet de la part des élèves, littérature incapable de traduire autre chose que l’univers parisien, tels sont les maux que Duneton déplore et pour lesquels il avoue son impuissance à trouver des solutions. Parler croquant peut-être …

Duneton joue volontiers le peuple contre les élites et atteint le point Godwin d’un bond léger puisque dès la 55e page, Louis XIV est rapproché d’Hitler, avec la Fronde dans le rôle de la Résistance. Le désamour d’une partie des francophones pour le français et ses raffinements de vieille dame un peu capricieuse date peut-être de cet essai que pour ma part, je suis prêt à réfuter point par point, ne fût-ce qu’en soulignant qu’il est écrit dans un français tout à fait classique mais souple et vivant, et donc accessible à un large public.