Jeux finis, jeux infinis - Le pari métaphysique du joueur
de James P. Carse

critiqué par Lobe, le 19 juillet 2019
(Vaud - 29 ans)


La note:  étoiles
Let us play, let us possibility
« Jeux finis, jeux infinis - Le pari métaphysique du joueur » est paru en 1987, et a été traduit dans la foulée. Son auteur, James P. Carse, est un universitaire américain spécialiste de l’histoire des religions. Comme ce livre, je l’ai beaucoup aimé, je l’ai immédiatement passé à une amie, et ne l’ai donc plus sous la main* : pour la critique motivée, c’est bonbon. Mais profitons de ce que les règles de Critiques Libres soient souples : s’il faut simplement donner envie de lire, alors je peux me lancer. Me lancer sans savoir si c’est pour gagner – des lecteurs pour ce livre – ou… ou perdre. Ne pouvant perdre de lecteurs, je ne peux guère que perdre du temps : cela ne me fait pas peur, j’ai choisi mon parti. Autant que possible, il me semble bon de jouer du côté des jeux infinis.

Ce livre ludique, profond, complet parle donc de jeux. Il en déroule même toute une théorie. C’est une théorie ludique. Ludique, et un peu plus : métaphysique, au sens où elle peut concerner chacun dans son rapport au monde, dans son mode de compréhension de celui-ci. Dans la première proposition de cet essai qui en compte 101, il est annoncé la différence entre les deux jeux qui font le titre.

« Il y a somme toute, deux sortes de jeux. Les uns peuvent être dits finis, les autres infinis. Un jeu fini se joue pour gagner, un jeu infini se joue pour continuer à jouer. »

Gagner, ou perdre : le volleyball, la guerre ou l'essentiel des interactions économiques sont des jeux finis. Des jeux avec des règles acceptées, une théâtralité maîtrisée, un public désiré. Là où perdre n’a pas de sens – dans l’amour, la spiritualité ou la pratique du jardinage – s’ouvre le champ des jeux infinis. Ceux qui se nourrissent du changement même des règles, de leur distorsion, afin que le jeu se poursuive sans avoir de terme. Les joueurs du fini jouent pour que le futur soit sous contrôle ; les joueurs de l’infini jouent avec le dramatique du futur, avec son imprévisibilité.

Dans un second temps, James P. Carse étend cette dichotomie aux principaux champs des activités humaines : histoire, société, religion, technologie, sexualité. J’ai été particulièrement touchée par le passage sur le jardin, le jardin comme somme de jeux infinis menés – entre autres – par le jardinier.

Un livre comme une bouffée d’air frais. Pas un guide de vie, juste de quoi jeter un œil neuf sur nos interactions, nos inclinaisons, notre propension à cloisonner ou à décloisonner. De quoi nous aiguillonner sur quels sont les jeux qui comptent, et sur comment s’y engager. Indices (selon moi) : pas de côté, réflexivité, émotivité.

*et il semblerait que sa traduction française soit devenue rare, voire précieuse : merci papa ! d’avoir prolongé ton jeu, et d’avoir transmis du ludique et du mouvant. Mieux à mes yeux que les titres, les propriétés, les patrimoines…