Innu - Etre indien aujourd'hui au Québec
de Jil Silberstein

critiqué par Mauro, le 26 février 2001
(Bruxelles - 61 ans)


La note:  étoiles
Sous les érables rouges, à l'est d'Aataentsic
Lorsque l'indien tue un ours ou un loup, il le fait parce qu’il a froid ou que l’animal menaçait sa vie.
Lorsqu’il tue une biche ou un caribou, c’est parce qu'il a faim. Aujourd’hui encore, il n'y a pas de pire scandale aux yeux de certaines nations amérindiennes que de laisser traîner la dépouille d’un animal qu'on a tué. La mort, fût-ce celle du plus médiocre des êtres animés, réclame toujours un rituel. La dépouille sera honorée, placée sur un arbre, à l’abri des chiens. Parce que tout ce qui est vivant participe du même moule et du même grand projet naturel.
Jil Silberstein a rencontré le monde amérindien lors du soulèvement des Mohawks, en 1990. A l’époque, toutes les télévisions du monde ont montré des images de ces « warriors » cagoulés, défiant les armées du Québec et des états-Unis. Et le monde entier découvrait que la question indienne n'appartenait pas seulement à l'histoire passée ou aux westerns. Quelques temps plus tard, Silberstein expédiait les affaires courantes et partait vivre une année entière parmi les Montagnais du Labrador.
Montagnais, c’est le nom que leur ont donné les Français, comme ils ont appelé Hurons, les Wendats ou Iroquois les Mohawks. Les Montagnais se nomment Innus & les êtres humains & dans leur propre langue. Non par prétention, mais simplement pour se singulariser du reste du monde animal .
« Innu » est la chronique de cette année passée en territoire indien. Une chronique qui restitue la parole du peuple nomade. Ses déboires, ses errances, mais aussi les légendes et les rites secrets qui demeurent attachés à la langue des vieux. « Innu » est avant tout un chant de douleur et de vérité.
Que ce soit en effet par le biais de la littérature, du cinéma, de la bande dessinée ou même de la publicité, notre perception de l' »Indien » ne nous a jamais guère renvoyé qu’à nos propres hantises, nos propres insolences, voire nos propres chimères ou culpabilités. Ceci, bien sûr, en fonction de l'imagerie et de la doctrine que l’époque éprouvait la volonté de distiller auprès du public, mais aussi de cette propension que manifestent nos sociétés à rêver l'autre selon ses désirs et critères exclusifs.
Le Huron ingénu du récit philosophique de Voltaire ou le chef apache, particulièrement borné et vindicatif, des piteuses fictions américaines procèdent en somme d’une même tentative de déformation du réel. Mais n’avait-on pas dès le départ faussé la donne ? Les Indiens du nouveau monde, pompeusement emplumés et exhibés aux cours européennes de la Renaissance pour attester d’un prétendu nouvel accès aux richesses mythiques de l’Extrême-Orient n'ont jamais eu de rapport avec les Indes ou l’Asie que dans les fantasmes des premiers explorateurs et des quelques potentats qui finançaient leurs expéditions.
Du bon sauvage des Lumières aux méchants indiens d'Hollywood, nous avons donc peu à peu perdu de vue ce qui fait la substance du monde amérindien, ce qui fait que ce monde a pu s'affirmer, et prétend s’affirmer aujourd'hui encore, comme un système de culture et de pensée profondément original et varié.
Dans une civilisation déplorablement vouée à la normalisation de la production et des échanges, il est souvent utile, sinon indispensable et urgent, d’éprouver sa propre conception du monde et des rapports humains à celle développée, en d’autres temps ou en d'autres lieux, par d'autres civilisations humaines.