Animabilis
de Thierry Murat

critiqué par Blue Boy, le 23 juin 2019
(Saint-Denis - - ans)


La note:  étoiles
Animabilis en trois mots : l’air, la vie, l’âme !
Dans les landes reculées du Yorkshire, un journaliste et poète français vient poser ses valises en plein cœur de l’hiver 1872. La rumeur dit que depuis quelques temps, la région est en proie à des actes de sorcellerie, ce dont le public parisien est friand. C’est ainsi que Victor, au départ simple observateur, va vivre lui-même une expérience qui ne le laissera pas indemne…

D’emblée, ce conte gothique et fantastique qui commence par une comptine médiévale intrigue au plus haut point. Avec une narration qui tranche avec ce qui se fait habituellement dans le genre, Thierry Murat a choisi la sobriété, enjoignant ainsi aux amateurs de sensations fortes et de fantastique un peu trivial, via la voix du narrateur Victor, de passer leur chemin, avec même une pointe de moquerie : « Si ton âme trop timide ne trouve pas la force d’accoster sur ces territoires aux émanations sauvages et voluptueuses, tourne les talons dès maintenant tant qu’il en est encore temps. » Quant aux images, elles sont la plupart du temps suggestives et renferment une puissante beauté poétique. Son auteur mériterait bien l’appellation de poète du neuvième art, lui qui semble davantage appartenir à un autre siècle et nous avait déjà ébloui avec « Etunwan - Celui-qui-regarde », une échappée lyrique dans l’Ouest sauvage des pionniers.

L’atmosphère hivernale, lugubre à souhait, évoque immédiatement Edgar Allan Poe, avec ce corbeau de mauvais augure, figurante récurrente dans le livre. Ce qui est la fois intéressant - et peut-être déroutant pour certains -, c’est que cette histoire où il est question au départ de sorcellerie, de lycanthropie et de magie noire évolue vers tout autre chose au fil des pages. Thierry Murat, qui semble plus que circonspect vis-à-vis des croyances ancestrales, de la religion – chrétienne dans ce contexte –, et des pratiques ésotériques à la mode à cette époque, va opérer un twist savant en franchissant une dimension purement poétique, avec l’apparition d’une femme belle et mystérieuse prénommée Mëy, qui semble avoir élu domicile dans les bois environnants. Il va ainsi extirper son récit des funestes ténèbres pour le transcender, le porter vers une lumière bienfaisante, tentant de faire partager au lecteur l’extase liée à une nature généreuse et omniprésente, quelque chose qui se rapprocherait de l’amour, tout simplement.

Certes, il s’agit d’une lecture exigeante, étoffée par de très beaux textes. Mais comme toute lecture exigeante, on en ressortira grandi. Fatigué peut-être, mais vivifié et changé à tout jamais. « Le poète, nous dit l’auteur, parle à l’âme humaine à l’état brut. C’est pour cela qu’il sauvera le monde avec un seul murmure. » C’est aussi pour cela qu’on aime Thierry Murat.