Les Jours Rouges
de Ben Arès

critiqué par Débézed, le 12 juin 2019
(Besançon - 76 ans)


La note:  étoiles
Vivre à Madagascar
Dans la région de Tolaria, à Madagascar, où il réside, Ben Arès a écrit ce recueil de nouvelles qui raconte l’histoire de cette région où les jours sont rouges comme le rouge de la latérite. C’est aussi l’histoire du clan des « Mahafaly, les Bienheureux, les Réjouis venus de l’extrême sud » de l’île, le clan dont fait partie la fille qui partage sa vie. elle doit le présenter lui le vahaza à l’ensemble de la phratrie pour qu’elle donne son avis sur son acceptation dans le cercle familial au sens large du terme. L’arrivée de l’étranger est l’occasion d’une grande fête. Même s’ils sont pauvres, ces gens n’en n’ont pas moins le sens de l’excès, ils partagent tout, surtout ce que l’étranger apporte pour s’acquitter de son droit à séduire une fille du clan. Malgré leur grand dénuement, ils acceptent avec bonne humeur le sort qui leur est réservé. Quand les jours sont favorables, comme quand la pluie tant attendue détruit tout mais apporte la vie, ils font la fête en buvant et mangeant immodérément au son de la musique traditionnelle.

Ben Arès utilise un langage simple, coloré, empreint de termes locaux, un langage où l’on sent dans le rythme, la construction des phrases, la structuration des idées, l’influence de la tradition orale, du palabre interminable, du palabre qui tient lieu de média, qui constitue le débat nécessaire avant toute prise de décision. Dans cette écriture Ben Arès raconte l’arrivée de l’étranger dans le clan, l’accueil qu’’on lui réserve, sa relation avec une fille de la famille, l’arrivée de l’enfant, le travail, la pénurie dont on s’accommode, la fête qu’on fait à chaque occasion, le malade qu’il faut arracher à la sorcellerie pour le confier à la médecine, le couple qui se défait, les mères qui doivent se débrouiller pour nourrir les enfants, les femmes qui sont toujours les perdantes. Et le rêve de partir vers une grande ville et ses lumières avec tous les risques que cela comporte, le rêve qui se heurte au désir de conserver le confort médiocre et sécuritaire de la vie dans le clan. La tradition triomphe encore très souvent du progrès technique, du désir de tout ce qui brille et rend la vie plus facile. Le poids de l’obscurantisme des croyances rituelles est très lourd surtout quand il s’accommode si bien des diverses religions importées sur l’île.

Ben Arès raconte la vie de ces gens qui malgré une grande pauvreté et bien des misères affrontent la vie avec calme et sérénité, acceptant ce que leurs dieux, celui des étrangers et les forces de la nature leur envoient. Il dénonce le discours des autorités qui cherchent à imputer à d’hypothétiques querelles ethniques toute la misère qui sévit sur l’île masquant ainsi leur incapacité et leurs malversations. Même si elles n’ont pas la chance d’accéder à l’instruction minimale, ces populations ont un grand bon sens et ne se fient qu’à ce qu’elles ont appris elles-mêmes par expérience ou par la voix des anciens. Elles se moquent de nos concepts auxquels elles n’entendent rien, « Comme ma sœur. Comme ma mère et la mère de ma mère ou de mon père. Je ne m’encombre guère des questions idiotes sur l’inné et l’acquis … La vie est ce qu’elle est … Et je n’ai aucune idée de ce que ce mot sans fond de Morale veut dire ».

A Tolaria, la philosophie est simple : « un homme qui court, qui craint le temps et jamais ne s’arrête est un homme mort ; d’autre part, celui qui feint de subir les désagréments de la lenteur pour mieux en tirer profit et justifier ses dépenses ni vues ni connues est sans conteste un enfant de salaud ». Une philosophie que nos civilisations agitées devraient méditer.