Immensités de Sylvie Germain

Immensités de Sylvie Germain

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Sahkti, le 21 juin 2004 (Genève, Inscrite le 17 avril 2004, 49 ans)
La note : 9 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (13 084ème position).
Visites : 4 347  (depuis Novembre 2007)

Séparation de vies diverses

Prokop Poupa est professeur de langue tchèque à Prague. Ses idées jugées révolutionnaires l'ont contraint à devenir balayeur. Ses amis sont comme lui, des dissidents, dotés d'une intelligence et d'un sens de la répartie qui décoiffent, mais réduits l'un et l'autre à des emplois subalternes, discrètement surveillés par les autorités.

Prokop a une petite vie rangée, calme, misérable en apparence mais telle qu'on la découvre sous la plume du narrateur, cette vie sans fard semble immensément riche, voire trépidante. Intérieurement s'entend. Prokop pense, il passe son temps à réfléchir. Sur lui-même bien entendu, mais aussi sur le monde, sur ses contemporains et sur la vie, sur le passé, sur le présent qui se dessine, sur ses amis si farfelus.
A travers son regard, c'est Prague qui s'étale à nos pieds, l'existence si étrange de ces dissidents de l'ombre, pas vraiment actifs sur le plan politique, mais terriblement novateurs dans les idées qu'ils défendent.
Au fil des pages s'égrènent les jours, les envies, les manques, les épisodes du quotidien qui prennent parfois un sens démesuré, comme cette tache d'humidité sur le plafond des toilettes qui se voit octroyer le titre de Dieu Lare, reconnaissance suprême, hôte d'honneur de Prokop qui échangera ses pensées les plus intimes avec cette moisissure anoblie.

La vie de Prokop est jalonnée de drames. Perte d'une soeur désillusionnée, départs successifs de ses compagnes et mères de ses enfants, indépendance hâtive de sa fille Olinka, exil de son fils Olbram en Angleterre qui suivra sa mère et son nouveau mari, décès d'amis et puis un jour, le choc, la gifle en plein visage. La révolution a éclaté, Prokop peut retrouver son emploi à l'université, ses amis peuvent s'exprimer librement. Et pourtant Prokop se découvre malheureux, il a perdu la foi, le goût de vivre, il se sent vieux, vieux et amorphe. Triste révélation d'un état latent qu'il avait réussi jusque là à dissimuler sous des occupations futiles. Son fils ne se manifeste plus, sa fille a voulu se suicider, son meilleur ami est mort, sa vie ne ressemble plus à rien. Alors Prokop recommence à s'interroger. Sur l'existence (ou plutôt l'absence) de Dieu.

Thème cher à Sylvie Germain (voir Les échos du silence), ce silence divin qui peut être librement interprété mais conduit, selon l'auteur, à une meilleure compréhension de soi et de sa vie, Dieu ayant volontairement laissé les portes ouvertes pour que chacun pénètre à sa guise dans le royaume du mystérieux.
Un livre bouleversant, une existence feutrée qu'on aime partager pas à pas et un personnage attachant, qui deviendrait presque un ami. Je vous recommande chaudement ce livre.

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ImmensitéS

9 étoiles

Critique de Garance62 (, Inscrite le 22 mars 2009, 61 ans) - 14 décembre 2009

Il y a des odeurs de Bobin dans ce roman, des odeurs de joies simples, des senteurs de vies ordinaires sublimées par les mots. Là s'arrête la possible comparaison.

La vie de Prokop, professeur Tchèque devenu balayeur pour les raisons qu'on imagine aisément, s'organise autour de ses enfants, ses amis, un monde d'idées, de doux délires intellectuels. Mais l'effritement du monde de Prokop est inéluctable : une place de renégat dans la société, une femme qu'il a quittée, un amour retrouvé qui le quittera à son tour, ses enfants qui apprendront à vivre sans lui, sa sœur morte trop tôt d'un désir d'amour absolu, et enfin les amis, joyeux pourvoyeurs de vivacité intellectuelle, qui retrouveront un chemin social que lui-même délaissera.

Il y a de la désillusion dans ce livre, une errance à regarder les autres vivre -magnifiques passages sur la vieillesse, p. 160 à 163; sur l'amitié envers les animaux quand les humains faut défaut-, à s'interroger sur la sienne, à trouver du bien-être dans la solitude de ses toilettes, lieu d'une grande importance « son isoloir et son cabinet de lecture » où « il rêvait à l'intérieur des mots, dans l'épaisseur bruissante d'échos, d'assonances, de souffles, dans la saveur de leur chair pleine de plis et de replis ».

C'est du monde de l'invisible dont il est question et j'ai bien failli refermer le livre une dizaines de pages avant la fin, à imaginer un prosélytisme de la part de l'auteur qui nous laisse y croire alors même que c'est à une ouverture totale de réflexion sur l'immensité d'un possible ailleurs qu'elle nous convie.

J'ai eu cette magnifique impression d'un auteur qui me tenait par la main; j'ai trouvé dès le début où poser mes pas dans cette longue promenade visuelle sur ce chemin de mots superbement mêlés. Un peu comme si je rentrais chez moi... Magie d'un auteur qui sait nous donner ce qu'il a de meilleur.

Pour finir :
« L'immensité est si vivacement enclose en notre finitude, ses houles y sont si fortes, et si lancinants les chants montés de ses confins, qu'il nous faut bien, vaille que vaille, lui faire en nous un peu de place, lui accorder quelque attention. Cette immensité qui gémit sous le poids de notre paresse d'esprit, de notre avarice de cœur, qui mugit à l'étroit dans notre finitude, est peut-être un appel vers plus qu'elle-même encore, une invitation pour des dérives à l'infini, du côté de l'éternité, par delà les ténèbres. Il se peut ».

Ce « il se peut » qui change tout...

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