Grammaire de l'imagination
de Gianni Rodari

critiqué par Alceste, le 5 mai 2019
(Liège - 62 ans)


La note:  étoiles
Trésor de techniques d'écriture
Titre austère, intrigant aussi, dans la mesure où l’on se demande s’il est possible de mettre en préceptes les ressorts de l’imagination, mais on est loin d’un manuel raisonné et méthodique destiné à un usage professionnel. L’auteur nous propose plutôt un récit, une promenade au gré des différentes activités d’écriture qu’il a eu l’occasion de pratiquer avec des classes d’enfants de moins de douze ans.
Chacun de ces jeux littéraires est expliqué brièvement, puis arrivent les souvenirs liés à ces rencontres enfantines, les réflexions sur leur bien-fondé, les commentaires sur les productions, quand il en subsiste.
On ne peut qu’être ravi de l’inventivité de ces « sujets de rédactions », si peu scolaires faut-il le dire. La créativité des enfants s’en trouve stimulée et il n’est pas rare que des débats essentiels en découlent entre élèves et professeur, ce qui est tout de même le but de l’écriture. À l’occasion, on retourne aux textes d’auteurs, comme Andersen, Collodi ou Calvino. Il est à noter que ces manières d’inventer des histoires sont facilement adaptables à des classes de jeunes gens, et, à peu de frais, aux adultes qui acceptent le défi.
Ainsi la simple juxtaposition de deux mots en binôme est déclencheuse d’associations qui débouchent sur des idées de récit. « Chien « et « armoire » peut faire penser à l’armoire du chien, au chien sur l’armoire, et aussi, plus intrigant, au chien dans l’armoire. Sur le plan sonore, Rodari propose aussi de détourner des vers fameux en jouant sur les approximations. « Cette faucille d’or dans le champ des étoiles » se déforme en « Ce fossile s’endort en cherchant ses étoiles », ou ce vers que n’aurait pas désavoué Buñuel : « Cette indocile mord en léchant des étoles »…. Les contes populaires subissent eux aussi toutes sortes de déformations, notamment des véritables « crossovers » avant la lettre, qui voient Pinocchio intervenir dans l’histoire du petit Chaperon rouge, et qui permettent aux enfants de se les approprier. En jouant uniquement sur les préfixes, l’auteur ouvre des portes insoupçonnées à l’imagination. Le préfixe dé- peut être ajouté à un verbe, un nom (Qu’est-ce qu’un « décanif » ?) et s’ensuivent une description et une histoire. Essayez avec « super », « semi », « bis », « mini » en les accolant à des termes insolites.
Bien sûr, on sent là toute une pédagogie libérale voire libertaire issue des mouvements de mai 68. (Le livre, réédité en 1996, date de 1977), et on en connait les limites, mais certaines remarques donnent à penser : « Dans son appréciation des textes d’enfants, l’école privilégie le niveau orthographique- grammatical –syntaxique (qui entre parenthèses n’effleure même pas le niveau « linguistique » proprement dit) au détriment du monde complexe des contenus qu’elle néglige complètement. Le fait est qu’à l’école, on lit les textes pour les juger et les classer, non pour les comprendre. Le tamis de la « correction » retient et valorise les cailloux mais laisse passer l’or. »
Ceci dit, l’idéologie rouge n’est pas loin, notamment quand Rodari s’émerveille, à l’occasion d’une réécriture de la Chèvre de Monsieur Seguin, de ce que les enfants ont magnifiquement intégré la réalité de la lutte des classes…
Significatif et amusant aussi ce passage prédictif où l’auteur se projette 40 ans en avant, c’est-à-dire en 2017 : « S’il m’arrive un jour d’écrire cette histoire scatologique, je confierai le manuscrit à un notaire avec ordre de le publier vers l’an 2017, quand le concept de " mauvais goût " aura suivi l’évolution nécessaire et inévitable. A ce moment –là, ce qui semblera de mauvais goût, ce sera d’ exploiter le travail des autres et de mettre en prison les innocents, tandis que les enfants seront vraiment libres, eux, de s’inventer des histoires éducatives, y compris sur le « caca ». » Touchante naïveté…
Sachons gré ceci dit à l’auteur de ne pas avoir confondu, comme souvent, les notions bien différentes d’imagination et d’imaginaire, la première étant la capacité de création mentale, la seconde désignant le réservoir, riche ou pauvre, d'images mentales dont chaque individu dispose.