Ce que je crois
de Jean Rostand

critiqué par Eric Eliès, le 4 mai 2019
( - 49 ans)


La note:  étoiles
Considérations d'un biologiste sur notre finitude, en tant qu'individu et espèce
Ce petit livre de Jean Rostand est l’un des premiers publiés dans la petite collection « Ce que je crois », qui fut lancée dans les années 50 par Bernard Grasset pour permettre à des intellectuels de présenter au grand public, sur une centaine de pages à chaque fois, l’état de leurs doutes et de leurs certitudes sur les grandes questions de l’existence ainsi que sur leurs engagements idéologiques et/ou politiques. Dans l’époque de l’immédiat après-guerre, marquée par de grands clivages, ces livres ont souvent permis à des esprits à la fois clairvoyants et indépendants de trouver une tribune pour, en quelque sorte, s’exprimer au-dessus de la mêlée.

Le texte de Jean Rostand, écrit dans une langue classique d’une grande élégance et d’une clarté remarquable sur des sujets parfois ardus, fait le bilan de ses convictions, fortement marquées par ses travaux de biologiste, sur le développement de l’humanité et sur son avenir. Jean Rostand souligne la double continuité entre l’inerte et le vivant puis entre l’animal et l’homme. Tout en se montrant très prudent et modeste (il insiste sur la distinction entre ceux qui, illusionnés par leurs bribes de savoir, croient qu’ils savent et ceux qui savent que, en l’état de leurs connaissances lacunaires, leurs opinions ne sont que des croyances toujours susceptibles d'être remises en cause), Jean Rostand affirme, sans érudition pesante ni thèse péremptoire, que l’homme est un animal parmi d’autres, dont toutes les qualités et facultés (y compris la conscience) sont latentes à tous les étages du vivant, et que le grand mystère de la biologie, non encore bien compris, est celui de l’apparition des espèces nouvelles. Le transformisme (hérité de Lamarck) est inopérant et le mutationnisme (hérité de Darwin), même s’il est beaucoup plus cohérent, peine à expliquer l'harmonie observée dans la complexité croissante des espèces, comme si le développement du vivant était orienté par une finalité. Néanmoins, Jean Rostand n’y distingue aucun dessein divin : au contraire, il récuse toute explication par des principes transcendants et considère, en refusant également la notion d’âme et en se méfiant des concepts métaphysiques religieux ou à la mode (occultisme, spiritisme, etc.), que tous les principes du vivant se trouvent dans la matière qui nous constitue, dont nous n’avons simplement pas encore percé tous les mystères et potentialités...

Jean Rostand insiste sur notre finitude et notre contingence dans l'immensité du cosmos. En tant qu’individu et en tant qu’espèce, nous nous distinguons à peine dans le règne animal et nous devons accepter, sereinement, que nous sommes mortels et voués à disparaitre. Notre intelligence nous permettra sans doute d’accomplir des progrès immenses, en matière de savoir (Jean Rostand évoque ici les bienfaits possibles des manipulations génétiques et de l'eugénisme, sans en nier les dangers) et d’organisation sociale (Jean Rostand se livre alors à quelques digressions optimistes sur les progrès de la démocratie, sur l’épanouissement des valeurs d’altruisme et de justice sociale, sous réserve que les libertés individuelles, qui incluent le respect des différences, ne soient pas finalement opprimées par la société au nom de l’intérêt collectif), mais nous n’échapperons jamais à notre fin inéluctable, ne serait-ce que parce que notre planète, monde clos et isolé, ne sera un jour plus propice à la vie.