Ma vie parmi les ombres
de Richard Millet

critiqué par Fee carabine, le 18 juin 2004
( - 50 ans)


La note:  étoiles
Le Temps Perdu au plateau de Millevaches
De livre en livre, Richard Millet s’attache à nous conter les destinées des habitants du village de Siom, en Haute-Corrèze, élaborant ainsi une Comédie Humaine, amère et nostalgique, en miniature à l’échelle d’un village.

Dans « Ma vie parmi les ombres », Richard Millet cède la parole à Pierre Bugeaud, écrivain, vivant aujourd’hui à Paris, loin du village où il a grandi. Pierre Bugeaud se remémore son enfance délaissée, né de père inconnu et abandonné par sa mère aux bons soins de ses grands-tantes, dernières représentantes d’une famille autrefois prospère, propriétaire de terres ainsi que de l’unique auberge du village.

« Ma vie parmi les ombres » est un long chant - presqu’une lamentation funèbre – à la mémoire de cette communauté villageoise qui brille de ses derniers feux, les champs et les maisons sombrant dans l’abandon à mesure que les jeunes quittent leurs terres pour découvrir d’autres horizons, tandis que les plus vieux s’en vont dormir de leur dernier sommeil. « Ma vie parmi les ombres » est aussi un hymne à la gloire de la langue qui se parlait dans cette communauté en train de s’éteindre : mêlant un Français d’un classicisme très pur aux sonorités et aux images plus rustiques du patois limousin. Et l’écriture de Richard Millet déploie toutes ses richesses pour évoquer cette langue sur le point de disparaître : « Après moi la langue ne sera plus tout à fait la même. Elle entrera dans une nuit remuante. Elle se confondra avec le bruit d’une terre désormais sans légendes. Les langues s’oublient plus vite que les morts. Elles tombent, comme le jour, le vent, ou le silence sur le monde où je suis né et qui était peuplé de gens rudes, peu loquaces, au visage tourné vers le couchant, et qui auraient souri de me voir, le dernier des Bugeaud, seul de ma race à écrire aujourd’hui le Français à peu près comme ils ont rêvé de le parler ou, pour quelques uns, l’ont parlé, quand ils ne s’exprimaient pas en patois, dans ce parler limousin où s’entendaient encore, entre les souffles des animaux et ceux des grands bois, tous les temps du subjonctif(...) »

Un seul (tout petit) bémol : de nombreux personnages semblent dépourvus de chair, constructions de mots et de silences enveloppés par le poids des habitudes, et pour la tante Marie, les épaisseurs de drap noir de son éternel veuvage. Mais ce n’est peut-être que logique lorsque l’on pense que ces mêmes personnages considéraient leur propre chair avec un mépris mêlé de méfiance.