Le Nombre d'or: Les clés du mystère
de Mario Livio

critiqué par Colen8, le 6 avril 2019
( - 82 ans)


La note:  étoiles
Science et jeu
Le mystère du nombre d’or vient de ce qu’il ne cesse de surprendre, de se nicher dans les endroits les plus improbables, de susciter des passions depuis Euclide en raison de ses étonnantes propriétés. Désigné « divine proportion » par les uns, à l’aide du symbole grec PHI majuscule par les autres, il prend la valeur de 1,618 suivie d’un nombre infini de décimales ce qui le rend à la fois irrationnel et incommensurable. Bien qu’on ait voulu le relier à un canon esthétique ayant parfois inspiré des artistes peintres ou sculpteurs, des musiciens et des poètes, plus récemment des architectes, rien ne vient confirmer que ce nombre d’or ait été utilisé dans la Grande Pyramide de Gizeh, ni chez la plupart des peintres et sculpteurs de la Renaissance auxquels les historiens d’art ont voulu l’associer.
Si au Moyen Âge le mathématicien Leonardo Fibonacci célèbre pour sa suite 1, 1, 2, 3, 5, 8, 13 etc. où chaque nombre est la somme des deux précédents(1), si à la Renaissance le graveur et géomètre Albrecht Dürer ont l’un et l’autre beaucoup contribué à son développement, c’est plus tard que Kepler a découvert dans le rapport de deux nombres successifs de la suite de Fibonacci une convergence vers le nombre d’or au fur et à mesure de la progression. On sait de mieux en mieux à quel point les nombres de Fibonacci sont partout dans la nature, que ce soit dans la disposition des végétaux, dans les spirales de fruits, de fleurs, de coquillages, … jusque et y compris les spirales galactiques !
Utile dans la construction des solides platoniciens, dans celle du pentagone et avec l’inscription à l’infini du pentagramme sur ses diagonales, le nombre d’or continue à inspirer nos contemporains. On le retrouve par exemple dans les pavages du mathématicien Roger Penrose, dans les objets fractals d’un autre mathématicien Benoit Mandelbrot, mais aussi chez les psychologues, numérologues et adeptes d’ésotérisme. Il alimente plus généralement les recueils et sites internet de mathématiques amusantes. Abondamment illustrée, complétée de quelques démonstrations en annexes, c’est une lecture savante et distrayante.
(1) en dehors du premier 1.
Mario Livio casse le mythe 6 étoiles

On peut voir tout d’abord le livre de Mario Livio comme une relativement brève mais passionnante histoire des mathématiques vu à travers le nombre d'or. Il évoque en effet pour retracer la carrière de cet énigmatique irrationnel (Φ pour les intimes), les travaux de toute une cohorte de brillants mathématiciens, depuis Euclide, auteur des fondamentaux Éléments et « découvreur » du nombre d’or, en passant par Pythagore, les mathématiciens arabes et bien sûr la figure centrale de Fibonacci. Mario Livio nous apprend d’ailleurs que Fibonacci, dans son fameux ouvrage, le Liber abaci, outre le fait de multiplier les exemples d’applications du nombre d’or, comme sa fameuse suite, en profite aussi au passage pour introduire la numération arabe en Europe.

Après avoir donc donné les différentes définitions du nombre d’or (dont évidemment sa valeur : 1,618...), et résumé les passions qu’il a exercé historiquement sur les mathématiciens, Mario Livio casse par contre considérablement un mythe, celui de sa présence conséquente dans l’architecture et les arts. Je ne vous cache pas que cela a provoqué chez moi une sorte de déception. Point de « divine proportion » donc chez les babyloniens, ni dans les cotes des Pyramides, du Parthénon, ou dans les œuvres des artistes, qu’ils soient de la Renaissance, de l’époque modernes ou contemporaine (mise à part quelques cas documentés comme Dürer ou Le Corbusier). Dans cette implacable entreprise de déconstruction, Mario Livio rappelle en effet qu’en absence de trace bibliographique fiable, il est impossible d’affirmer que l’artiste ou l’architecte a utilisé le nombre d’or. Il démontre que les mesures ne sont pas des preuves, la marge d’erreur permettant de faire dire tout et n’importe quoi. Il nous donne en outre une exemplaire leçon de rigueur en se replongeant dans les sources et en démontrant que c’est un passage d’Hérodote à la fois fantaisiste et mal traduit qui a donnée naissance à ce fantasme du nombre d’or qui aurait été utilisée pour l’édification de la Grande Pyramide. Il affirme qu’il serait de toute façon absurde d’utiliser le nombre d’or comme canon esthétique.

Mais pour nous consoler pourrait-on dire, l’auteur nous expose par contre les incroyables propriétés mathématiques de Φ, qui touchent aussi bien la géométrie que l’algèbre. Cette partie est sans doute la plus ardue du livre, car Mario Livio y introduit de nombreux concepts et démonstrations mathématiques plus ou moins faciles à suivre, mais aussi la plus fascinante, celle qui donne le tournis, plus encore peut-être que l’évocation de la présence du nombre d’or dans les phénomènes biologiques (peut-être parce que j’en avais déjà entendu parler). A partir de ces considérations mathématiques Mario Livio esquisse, dans son chapitre final, une réflexion très riche sur la vraie nature des mathématiques, sur la vérité mathématique (est-elle absolue ?) et interroge finalement sur l’intervention d’une éventuelle « main de Dieu » qui aurait créé de toute pièce un système aux propriétés aussi extraordinaires que celle du nombre d’or.

Fanou03 - * - 48 ans - 22 janvier 2020