Construire un feu
de Jack London

critiqué par Mauro, le 25 février 2001
(Bruxelles - 61 ans)


La note:  étoiles
Un homme et un chien
Un homme et un chien. On ne voyage pas seul sur le Yukon, par moins quarante degrés sous zéro. L'homme avance vite.
C'est une matinée blanche et sans vent et qui semble charrier plus de rancœur et d’inquiétude que toute une vie d'homme. Mais l'homme est tranquille. Ce soir, il rejoindra les gars à la mine. Et il aura un repas chaud et il y aura du feu. Le chien aussi attend le feu.
Le chien sait qu’on ne voyage pas du tout par moins quarante degrés sous zéro. On se roule en boule dans la neige et on attend des journées plus clémentes. Ou alors, on suit l'homme, pourvoyeur de feu. Le chien a appris le feu. C'est pour ça qu’il supporte l’homme. Qu’il le suit. Qu'il accepte ses coups, ses mots comme des coups de fouet. Mais l'homme continue d’avancer dans la neige, négligeant le feu. L’homme se croit plus fort que la neige, plus fort que le froid. Et le chien comprend que cet homme-là est ignorant. Il comprend peut-être qu’il mourra.
Au départ, il s’agissait d'un conte pour enfants. Insatisfait de la manière, Jack London reprendra l'argument du conte pour en faire cette longue nouvelle tragique. Faire un feu, lorsque le froid t’engourdit les doigts, te glace le sang en quelques secondes, est une opération périlleuse. C'est une opération vitale pourtant si, par accident, n'importe quelle partie de ton corps a touché l'eau glacée qui se cache sous la neige. Et tu n’as qu’une seule chance. Si le feu s’éteint, le froid te prendra tout le corps, t'enfermera les membres et le coeur et la tête comme dans un manteau trop étroit. Et tu t’endormiras pour toujours dans le grand désert blanc.
Avec « Construire un feu », Jack London touche à l'épique avec la justesse et la sobriété d’un ascète. Un style court pour une histoire courte, mais qui contient toute la vanité et toute la vie d’un homme. C’est déjà cette économie de moyens et de paroles à laquelle un Hemingway bientôt donnera ses lettres de noblesse. Répétitions, martèlements de mêmes mots, de mêmes gestes, martèlements montrant la fragilité, l'inutile.
Les séquences de « Construire un feu » sont autant de sensations précises et douloureuses. «a te picote d’abord l’extrémité des doigts, ça remonte dans tes poignets, tes coudes, tes épaules. Ca investit ton ventre et ton crâne. Ca tourne longuement et ça agite et ça se loge dans ton crâne. Et ça finit par te maîtriser totalement.
Contes cruels du pays de l'or 10 étoiles

Ma critique fait référence à l'édition Phébus/ Libretto qui comporte la nouvelle "Construire un feu" et six autres récits du Grand Nord (175 pages).

Dans ce recueil, Jack London nous entraîne avec son talent habituel sur la piste des chercheurs d’or, des Indiens et autres aventuriers du froid. Vers 1900, à l'époque du « gold rush », le Klondike était une contrée peu hospitalière pour les pieds tendres. C’est ce que nous apprend avec une redoutable efficacité la première nouvelle du recueil. En une quinzaine de pages, Jack London décrit les souffrances d’un homme égaré dans la neige en compagnie de son chien. A cause du froid extrême ses membres gèlent progressivement, entravant ses moindres mouvements. Parviendra-t-il à construire un feu à l’aide de sa dernière allumette ? Le personnage de « Mission de confiance » doit lui aussi dépasser ses limites pour transporter un mystérieux bagage. On est surpris par la vigueur physique et morale des héros de London. Surtout, il entre dans ces histoires une bonne part de cruauté. Ainsi dans « Face-Perdue », le trappeur Subienkow est obligé de ruser pour échapper à ses tortionnaires indiens ; mais sa fin n’en sera pas plus enviable. La même sauvagerie habite le vieux Porportuk, Peau-Rouge avare repoussé par la jeune squaw qu’il tente d’acheter. Quant aux chiens de traîneaux, figures incontournables du Grand Nord, ils sont incarnés par « Ce Spot », animal encombrant d’une intelligence quasi diabolique. Chacun de ces récits possède une chute, qu’elle soit tragique, ironique ou franchement atroce. Mais le plus admirable chez London, c’est sans doute son art consommé du suspense. A partir de sujets simples – un marcheur, un chien, la neige …-, il entretient un mystère haletant qui captive le lecteur de bout en bout. Lire Jack London c’est partir à l’aventure et assister à l’affrontement sans cesse renouvelé entre l’homme et une nature grandiose.

Pierrequiroule - Paris - 43 ans - 10 octobre 2013


C'est court mais c'est bon... 9 étoiles

Voici un petit bijou. Une gemme insoupçonnée de quelques pages. C'est souvent difficile de s'exprimer en peu de mots tout en faisant vibrer les cordes sensibles, tout en abordant des thèmes intéressants et, plus encore, en rassasiant les lecteurs. Après la lecture de ces 14 pages intenses, on ne peut qu'admirer le talent de Jack London.
De toute évidence, ses aventures dans le grand nord lui ont fourni quantité de matière pour des oeuvres géniales. Cette nouvelle en est un autre exemple.
De l'aventure, de la psychologie, un peu de philosophie et une touche de morale : il y en a un peu pour tous les goûts. Le dosage est subtil comme les coups de pinceaux d'un maitre italien.

Biggy - Canterbury - 43 ans - 23 septembre 2010


Très intéressant 9 étoiles

Cette nouvelle est si courte mais en dit tellement... Chose très difficile à faire. L'arrogance de l'homme qui s'est entêté à croire qu'il pouvait réussir ce périple seul, le chien-loup qui le suivait uniquement dans le but d'avoir chaleur et nourriture. Parcourant un univers très difficile à visiter, l'homme doit constamment s'arrêter pour «Construire un feu».

J'admire la bonne critique de Mauro et tient à préciser que Jack London a réussi ici un très bon coup.

Vladquebec - Châteauguay - 39 ans - 2 novembre 2004


Chef-d'oeuvre! 0 étoiles

Bien d'accord avec Mauro! Cette nouvelle a tant de qualités qu'on en a déjà fait des transpositions cinématographiques et qu'elle était lue assidument par Che Guevara. Je l'ai lue 100 x et je me suis même procuré l'original en anglais!

Canard - Bruxelles - 81 ans - 5 mars 2001