Sodoma
de Frédéric Martel

critiqué par Le rat des champs, le 24 mars 2019
( - 73 ans)


La note:  étoiles
Une enquête passionnante à lire sans préjugé
Voilà un livre qui interpelle, et qui ne fera pas plaisir à beaucoup de catholiques fervents, persuadés que Dieu en personne dirige son Eglise par l'intermédiaire de saints hommes éclairés, cardinaux, évêques, archevêques, prêtres, tous au-dessus de tout soupçon. Ce pourrait être un navrant catalogue de ragots, si l'auteur n'avait pas séjourné pendant de longues périodes au Vatican, en étant l'hôte de plusieurs prélats qui lui ont fait des confidences, souvent enregistrées, avec leur accord. Il existe un code que les Monsignori utilisent fréquemment, pour désigner leurs collègues homosexuels pratiquants, ils disent "Il est de la paroisse". Tout est dit. En réalité, la longue et patiente enquête fouillée de l'auteur démontre que 80 % des prélats, nonces, cardinaux de la curie, bref des princes de l'Eglise sont "de la paroisse". L'explication est très simple, si on accepte l'idée que l’homosexualité est innée et pas acquise, et que la morale traditionnelle rejetait violemment l'homosexualité au cours des années 1950 à 1970. Pour un jeune gay,à cette époque, prétendre avoir la foi et vouloir entrer dans les ordres était la manière royale d'échapper aux quolibets, aux moqueries, et même aux violences physiques. Leur célibat était sublimé par leur soutane, et on leur permettait de se trouver dans un milieu exclusivement masculin, qui était une sorte de vivier de leurs semblables. De plus, on leur permettait de se couvrir de dentelles, de tissus luxueux, ce qui n'était pas pour leur déplaire.
Naturellement, la morale catholique officielle condamne sévèrement l'homosexualité, et ceux qui ont choisi les ordres , non par appel de Jésus, vocation ou que sais-je, se doivent de rester prudents, et de se protéger en prenant officiellement une attitude de condamnation stricte et sévère de l'homosexualité. On en arrive donc, selon les nombreuses interviews des princes de l'Eglise faites par l'auteur, à distinguer plusieurs clans au Vatican, qui se mènent une guerre sans pitié. Il y a au sein de la curie romaine 20 % d'hétérosexuels qui assument plus ou moins leur célibat, ce qui n'exclut pas quelques débordements avec des bonnes sœurs consentantes ou parfois non, et dans les 80 % d'homosexuels, il y a les "honteuses", ceux qui vouent le plus les gays aux gémonies éternelles. Il est même possible d'affirmer, sans le moindre risque d'erreur, que les prélats les plus anti-gays sont tous membres de la "paroisse" et pratiquants. Il y a aussi les "gay-friendly", les libéraux, ceux qui considèrent que la sexualité fait partie de la nature humaine et qu'il n'est pas bon de la réprimer. Au premier rang de ces progressistes, le pape François, qui lui est bien clairement un hétérosexuel, qui reste chaste pour honorer ses vœux. Le pape François, qui a été influencé par la théologie de la libération, de Leonardo Boff mais aussi par le Che Guevara de la première époque, celle où il parcourait l'Amérique latine en mobylette, avant qu'il ne devienne un criminel, Le pape François, qui représente quand même un miracle qui était devenu nécessaire, a un discours parfois incohérent et contradictoire, par exemple au sujet de la laïcité à la française, sur laquelle il a été mal informé, mais il se révèle souvent d'une grande humanité et très généreux. La phrase qui le définit de mieux est celle qu'il prononça dans un avion au retour de Buenos Aires: "Qui suis-je pour juger?" Là, on est aux antipodes de nombre de ses prédécesseurs, et au centre du vrai christianisme, celui de Jésus, et les quelques maladresses qu'il commet de temps en temps par manque d'information ne doivent pas occulter ce point très important. Vraiment une enquête passionnante, qui doit impérativement être lue, par tous ceux qui s'intéressent à cette institution bimillénaire qui a marqué si profondément notre civilisation.
La vérité, enfin 9 étoiles

Pendant des siècles, l’homosexualité a été considérée comme la pire des infamies. Et si les mentalités évoluent, nombreux sont encore ceux qui n’ont pas compris qu’il s’agit là d’un phénomène naturel, s’inscrivant dans la normalité de l’espèce humaine.
Pour les hommes (c’était sans doute plus compliqué pour les femmes), l’échappatoire était souvent d’entrer au séminaire. L’absence de relations féminines, le célibat faisant partie intégrante des vœux prononcés, un tel engagement permettait d’échapper à l’opprobre.
On comprend dès lors que le clergé soit majoritairement homosexuel. Si certains respectent leur engagement de chasteté, d’autres – les plus nombreux – vivent leur sexualité à l’abri du monde laïc.
Pour ne pas risquer d’être démasqués, ils prêchent un langage diamétralement à l’opposé de leur comportement. D’où la rigueur excessive d’une morale sexuelle incompatible avec la réalité : interdiction absolue de tout moyen de contraception, abstinence stricte hors mariage, etc... Autant de déclarations qui ont conduit les laïcs à se détourner des discours du Vatican. Les églises se sont vidées.
Dans le même temps, l’homosexualité ayant acquis ses droits d’exister au grand jour, il n’est plus nécessaire de choisir les ordres pour assumer ses orientations à l’abri des regards de l’opinion. D’où le recul important des vocations.
Certes, le culte du secret connaissait bien certaines entorses, mais on était loin d’imaginer l’ampleur du phénomène. Même les actes pénalement répréhensibles (pédophilie, corruption, assassinats commandités, blanchiment d’argent) étaient couverts par la hiérarchie du clergé, au mépris total des très nombreuses victimes de ces déviances.
L’échec flagrant des orientations prônées par Benoît XVI conduira ce dernier à la démission.
Tout change avec le pape François, qui décide de faire la lumière sur ces états de fait. Tout en condamnant bien sûr les agissements que la loi sanctionne, il reconnaît l’existence de l’homosexualité, et se garde de la condamner. Les évêques ou cardinaux qui critiquent son action sont évincés, au profit d’autres favorables aux idées du pape. Lequel se trouve être globalement détesté des responsables ecclésiastiques (il est considéré comme un véritable dictateur, et certains cardinaux se demandent même comment il a pu être élu), alors qu’il bénéficie d’une grande popularité auprès des laïcs.
Que va devenir l’Église après ces bouleversements ? Il est bien difficile d’essayer de répondre à une telle question. Pour l’instant on en est à la chute de l’omerta qui a prévalu si longtemps. Et ce livre, très documenté, nous éclaire sur un monde qui a vécu jusque là dans l’hypocrisie et le mensonge.

Bernard2 - DAX - 74 ans - 22 avril 2019