La chemise du domestique
de Vinod Kumar Shukla

critiqué par Sahkti, le 15 juin 2004
(Genève - 50 ans)


La note:  étoiles
La vie comme elle vient et rien d'autre
D'abord un petit commentaire sur le format de l'ouvrage que j'ai trouvé très agréable pour la lecture. La photo de couverture résume très bien, à mon goût, l'identité du roman. J'ai apprécié sa douceur, dans tous les sens du terme.
Passons à l'histoire. La vie quotidienne d'un fonctionnaire et de son épouse. Résumé un peu simpliste. En apparence morne et banale, cette vie regorge de surprises, anodines ou importantes, de soucis et de tourments qui hantent l'esprit du personnage principal.
Au fil des pages, je me dis que cette vie est triste à mourir de banalité et en même temps, elle attire, elle passionne. Sans doute parce que nous vivons dans des univers totalement différents.
Malgré son apparence tranquille, cette vie donne pourtant l'impression que Santou Babou vit un tas d'événements à la fois et qu'il apprend à les gérer.
Par exemple une scène terrible qui a inspiré le titre "La chemise du domestique". On ressent la rage triste et désespérée de Santou Babou et en même temps, on imagine aisément que son supérieur hiérarchique a voulu plaire au patron, qu'il était lui-même pris au piège. Ce supérieur qui tout au long des pages nous fait pitié avec sa bicyclette sur laquelle il n'arrive pas à monter, avec ses craintes des supérieurs, avec ses angoisses au sujet d'un jaque cueilli par Santou Babou, avec son envie refouler de se révolter, envie que son rang enviable lui interdit d'exprimer. Un personnage qui semble effacé et qui pourtant a sa place au sein de ce très beau roman.

Santou Babou se psychanalyse en permanence ce qui m'a parfois donné envie de le secouer, de le gifler en lui demandant d'arrêter de se lamenter et d'être aussi résigné. Ce qui m'était évidemment impossible. Et en même temps, cette culture différente exige cette abnégation, ce renoncement... elle est formidablement bien ressentie à travers les lignes de Vinod Kumar Shukla. A travers la vie d'un homme, c'est la vie de toute une société que nous observons. Par exemple, cette manière que je juge détestable qu'a Babou de considérer son épouse, doux au dedans et rugueux au dehors, ce machisme obligatoire en vigueur dans cette frange de la société.
Le roman dégage une note pessimiste, le poids du destin qui a déterminé le statut des vivants et leur place immuable dans la société. On se sent oppressé, coincé sans possibilité de pouvoir évoluer. Pourtant les personnages, sous leurs apparences tourmentées, semblent heureux. Ils savent qu'il y a moins bien lotis qu'eux et ils ont appris à ne pas envier leur voisin. Cette sensation de pesanteur rapproche le héros du lecteur, il devient possible de vivre les événements à sa place, de les ressentir.
Mais nous comporterions-nous ensuite comme il le fait face au poids de cette vie?
Cette vie apparemment toute tracée, prévisible de A à Z dans ses grandes lignes, tout juste émaillée par les aléas du quotidien. Ce serait trop simple de résumer cette vie à cela, elle est bien plus riche que cela.
Lorsque j'ai refermé le livre sur la dernière page, j'ai poussé un soupir, je ne voulais pas que cela s'arrête. Un tel morceau de vie pourrait durer une éternité, on la voit défiler heure par heure sans regarder les minutes qui passent, c'est trop court...

Un regret : la traduction que j'ai parfois trouvée trop littérale, trop formelle. Exercice très difficile, j'en conviens volontiers et en particulier pour les traductions poétiques. Comment être fidèle au texte et à l'âme en même temps ?