La Vertu d’égoïsme
de Ayn Rand

critiqué par Elya, le 7 mars 2019
(Savoie - 34 ans)


La note:  étoiles
Éthique et État
C'est très récemment que j'ai découvert Ayn Rand, pourtant présentée sur de nombreux sites francophones comme une des plus grandes et influentes essayistes et romancières du XXème siècle aux États-Unis. Qui plus est, elle a écrit des romans politiques, type de littérature dont je suis toujours à la recherche. Après l'avoir découvert par le biais de sa page Wikipedia, j'ai d'abord voulu la découvrir au travers d'un de ses essais, pour mieux comprendre son positionnement politique et philosophique. Elle est en effet souvent qualifiée de libertarienne (quelqu'un qui souhaite avant toute chose la liberté des individus), partisane d'une minarchie (territoire où l'État à un pouvoir et des fonctions réduites au maximum). Le choix d'ouvrages traduit en français est très restreint, et la plupart de ses ouvrages ont été traduit dans les deux dernières décennies, alors qu'elle a plutôt écrit dans la première moitié du XXème siècle.

La vertu d'égoïsme est un court recueil d'essais qui présente parfaitement le positionnement politique d'Ayn Rand, et surtout l'argumentaire qui le sous-tend. En réalité, le livre en anglais comprenait 19 essais, seuls 9 ont été gardés dans cette édition française, ce qui est fort dommage.
Elle disserte sur sa vision de l'éthique. Elle remet en question l'éthique qu'elle qualifie d'altruiste, inculquant aux gens de se conduire en bons samaritains, soit au nom d'un Dieu tout puissant (auquel elle ne croit pas), soit au nom de doctrines socialistes et égalitaristes. Elle défend - de manière très convaincante - que les comportements altruistes ne sont pas viables sur le long terme. Elle étaye parfois ses propos par des arguments biologiques, qui font cependant particulièrement datés. Par exemple, elle semble soutenir la théorie de la tabula rasa, ou page blanche : l'être humain arriverait vierge ou presque de tout déterminisme biologique, de tout caractère inné, ses traits de caractère et de comportement ne seraient en rien héréditaires. Or cette théorie a été largement réfutée depuis, et je ne sais pas dans quelle mesure d'ailleurs cela était déjà le cas lorsqu'elle a écrit ou prononcé ces essais. Cela pour autant ne remet pas en question pour autant la plus grande partie de son argumentaire.
Partant de cette prémisse - l'être humain doit agir que pour ses propres intérêts -, elle décrit la place que devrait avoir tout gouvernement dans ce cadre : Le seul but moral qui convienne à un gouvernement est la protection des droits de l'homme. Cela veut dire que le gouvernement doit le protéger de la violence physique, protéger son droit à la vie, à la liberté, à la propriété et à la poursuite de son propre bonheur. On voit ainsi se dessiner certaines fonctions régaliennes de l'État (justice, police, armée), les seules fonctions qu'elle pense pertinentes. Elle ne sous-estime pas les difficultés qu'il pourrait y avoir à mettre en place un gouvernement tel qu'elle le décrit. Elle affirme que cela nécessitera de longs travaux de philosophes et scientifiques, et des remises en question possibles.

Ayn Rand explique aussi longuement pourquoi un État ne devrait pas être chargé d'assurer l'égalité de ses membres. La ligne argumentaire principale est la suivante : cela se fait toujours au détriment de groupes d'individus. Elle disserte sur l'importance de poser les prémisses d'une discussion éthique avant de chercher à répondre à des questions qui reposent sur des prémisses peut-être fausse, ou auxquelles on ne consent pas. Par exemple, elle cite des débats avec des personnes prônant un interventionnisme important de l'État (plutôt dans un cadre communiste).
« Que fera-t-on à l'égard des pauvres ou des infirmes dans une société libre ? » La prémisse altruiste-collectiviste, implicite dans cette question, est que les hommes sont responsables les uns des autres et que l'infortune des uns est une hypothèque sur les autres. (...) Observez qu'il ne demande pas : « Devrait-on faire quelque chose ? » mais bien « Que fera-t-on ? ». (...)
La réponse à cette dernière question la plus pertinente qui ait été donnée à cette dernière question est selon Ayn Rand : « Si vous voulez les aidez, vous n'en serez pas empêché. »
Ces passages consacrés aux pouvoirs légitimes des États sont stimulants, poussent à réfléchir. Cependant, ils reposent forcément sur la théorie de la tabula rasa (l'être humain n'a pas de traits de caractères et de comportements héritables, il nait vierge), qui n'est plus d'actualité.

La lecture de cet essai m'a donné envie de creuser plus l'œuvre de Ayn Rand, et idéalement de lire des auteurs qui ont le même positionnement éthique et philosophique mais avec des connaissances plus actuelles et factuelles en génétique, ainsi qu'en sciences politiques. Par exemple, est-il vrai de dire que le capitalisme a largement conduit à la prospérité (sans majorer des inégalités), tandis que les États ne font que rendre le monde moins agréable à vivre ?