Ouvrir son coeur
de Alexis Morin

critiqué par Libris québécis, le 6 mars 2019
(Montréal - 82 ans)


La note:  étoiles
La Vie en noir
Ouvrir son cœur est un titre fort judicieux. L’héroïne du roman, alter ego de l’auteure, qui porte d’ailleurs son prénom, vit à Windsor au Québec, une petite ville dominée par la papetière Domtar, seule source d’emplois ou presque pour la population. Sur des kilomètres, elle étale ses installations afin de s’alimenter de la forêt dense de l’Estrie, région où se situe la ville. Évidemment, le père de la protagoniste y travaille, comme d’ailleurs Alexie à 23,40 $ de l’heure (16 €) pendant les vacances d’été pour payer ses études.

L’auteure trace son parcours de l’enfance à sa vie adulte. Un parcours fort accidenté à l’instar de la région montagneuse qu’elle habite. D’ailleurs, la montagne et ses arbres lui servent de terrain de jeux, situé dès le fond de la cour familiale. Les enfants s’y installent pour s’initier, dans les replis qu’ils pensent secrets, aux mystères de la nature. Les ouaouarons (crapauds) n’ont qu’à bien se tenir.

Élevée dans une famille très fonctionnelle, Alexie se sent quand même à part. Née avec un strabisme sévère, elle a un œil croche. C’est impardonnable devant l’intolérance de ses pairs. Mais c’est mal connaître la fillette. Elle relève tous les défis, même celui de jouer au softball (base-ball avec une balle plus grosse). Son handicap l’avantage. Elle est experte à la batte parce qu’elle voit la balle venir au ralenti. Si ce n’était que de cela. On l’a classée en plus comme une TDAH bipolaire. C’est le comble. Heureusement, son talent en dessin et en écriture pourra s’avérer comme une planche de salut.

Ces déficits ne peuvent que teinter sa personnalité. La honte, le rejet, voire l’intimidation ne sont pas les ingrédients qui renforcent l’estime de soi. Alexie doit mener un combat de tous les jours pour s’affirmer. Et l’affirmation commence par l’introspection. Tout ce qu’elle vit est filtré par son auto-analyse. Elle est son propre Freud afin que son âme ne se perde pas dans les abîmes du rêve comme le poète Émile Nelligan. Elle parvient à protéger sa santé mentale, lui évitant ainsi d’envisager le suicide.

Le lecteur souffrira avec Alexie. L’auteure ne lui laissera pas de répits. Rares les œuvres qui pénètrent autant l’âme humaine. La protagoniste pourrait être la sœur des Frères Karamazov tellement sa douleur est vive. Surmontera-t-elle son dilemme ?

Avec des larmes, des joies fugitives, des tentatives de relations harmonieuses, l’héroïne cherche le bonheur. Mais le bonheur n’arrive qu’avec des petites morts quotidiennes. Renoncer à moult choses pour découvrir l’essence de ce que l’on est. L’auteur a concrétisé avec brio son projet d’écriture. À lire si l’on ne craint pas de voir la vie en noir. Et le noir amalgame toutes les couleurs de la vie.