Pourquoi l'enfant cuisait dans la polenta : Précédé d'une lettre de Peter Bischsel
de Aglaja Veteranyi

critiqué par Sahkti, le 14 juin 2004
(Genève - 50 ans)


La note:  étoiles
L'écriture comme thérapie
"Je me représente le ciel.
Il est tellement grand que je m’endors aussitôt pour me rassurer.
Au réveil, je sais que Dieu est un peu plus petit que le ciel. Sinon, chaque fois que nous prions, nous nous endormirions de terreur.
Dieu connaît-il les langues étrangères ?
Est-ce qu'il comprend les étrangers ?
Ou bien y a-t-il des anges dans de petites cabines de verre, qui font des traductions ?"

Aglja Veteranyi, qui s'est donnée la mort en 2002 à l'âge de quarante ans, nous offre ici une récit autobiographique en forme de profond malaise. Au-delà de la nostalgie qu’elle évoque à travers ce conte cruel que lui narrait sa grand-mère au coin du feu, c’est toute la douleur de l’enfance meurtrie qui est abordée avec beaucoup de douceur, de tendresse mais aussi de violence, on sent la rage derrière chaque phrase de l’auteur.
Aglaja Veteranyi est d’origine roumaine, elle débarque en Suisse avec ses parents à l’âge de cinq ans, ils s’installent à Zurich, la famille monte des numéros de cirque. Aglja participe aux acrobaties de son père, un homme affreux, qui la bat et la viole, maltraite sa mère sous le regard terrifié de cette petite fille qui en a une frousse bleue. Un jour il disparaît. Un peu plus tard, la maman d’Aglja a un accident, sa carrière est finie. La jeune fille est alors contrainte de danser dans des cabarets miteux terrorisée par une mère recyclée en proxénète et sombrant peu à peu dans la folie.

De cette vie de misère, Aglaja Veteranyi sortira en suivant des cours de comédienne et en se noyant dans les plaisirs de l’écriture. En découvrant son parcours, elle m’a fait penser aux problèmes d’extracommunautaires abordés par Brina Svit. Aglaja Veteranyi s’essaie à l’écriture en langue allemande, ce n’est pas sa langue maternelle, c’est celle dans laquelle elle a été vaguement scolarisée. Mais ce n’est pas la sienne, elle préfère le roumain qu’elle parlait avec sa famille ou le hongrois que son père utilisait lorsqu’il piquait ses crises.
Pendant longtemps, Aglaja Veteranyi a culpabilisé d’avoir laissé derrière elle une famille mourant de faim pour fuir vers l’Allemagne. La meilleure thérapie a été l’écriture, l’équivalent d’après elle d’une sérieuse cure d’antidépresseurs. En maniant un humour féroce (à la limite du dérangeant), Aglaja tente de chasser ses vieux démons et d’affronter la vie. Toujours de manière détournée. Avec ce roman paru sous le titre "Warum das Kind in der Polenta kocht" en 1999, Aglaja Veteranyi se place dans la peau d’un enfant qui examine le monde des grands, ses joies mais aussi ses turpitudes. Qui découvre qu’il existe un Dieu qui adore les enfants mais leur veut parfois tellement de bien, qu'il les cuit, les dévore… Métaphore poétique et caustique des drames que l’auteur a vécus. Elle y a mis toute son énergie espérant que ce texte lui servirait de tremplin vers une nouvelle vie. Malheureusement, ses errances la conduiront vers le suicide, en 2002.