Zam
de Zam Martino Ebale

critiqué par Débézed, le 10 février 2019
(Besançon - 76 ans)


La note:  étoiles
Né au mauvais endroit dans le mauvais corps
Zam sur la scène, c’est un désormais quinquagénaire camerounais, naturalisé Belge qui exerce les trois facettes de son talent : la danse, la chorégraphie et le chant sur les podiums européens, belges notamment, et africains à travers des projets estampillés nord-sud par différentes institutions internationales. Dans cet ouvrage autobiographique, il raconte comment la danse l’a saisi dès son enfance, pourquoi il a dû quitter son pays et se réfugier en Belgique où après un long combat, il a obtenu un statut pérenne tout en développant son art.

Petit-fils de lépreux, fils d’une importante personnalité politique proche du président du Cameroun, il appartient à une famille nombreuse où le père pratique la bigamie. Il est l’un des enfants de la première épouse délaissée mais s‘entend très bien avec la seconde. Il a une grand-mère métisse dont il a hérité une part de son talent. « Ils ont d’abord vécu à Yaoundé, puis mon père a été muté à Garoua …. C’est donc là que je suis venu au monde le 10 avril 1969, dans une famille bigame de la bourgeoisie protestante camerounaise ». Cette famille très aisée connait le malheur quand le père décède beaucoup trop jeune, la seconde épouse sait faire fructifier son héritage alors que sa mère, une artiste, dilapide sa part très vite. La première fratrie vit alors dans la précarité et Zam Martino décide de quitter l’école pour alléger les charges familiales et améliorer ses revenus en donnant des cours de danse. Il possède un réel don pour la danse et le chant, il réussit rapidement acquérant vite une certaine notoriété dans son pays. Ce succès fait des jaloux et des envieux qui dénoncent son homosexualité, un délit au Cameroun, il doit s’enfuir pour échapper à la prison.

Après un long périple et bien des démarches, il se fixe en Belgique grâce à l’aide de personnes qui croient en lui et en son talent qu’il toujours cultivé en suivant de nombreuses formations. Quand il n’était encore qu’un tout petit enfant, sa grand-mère l’avait introduit dans le cercle de la danse des femmes, elle lui avait prédit : « Tu danseras et chanteras toute ta vie ! ». « Les trois piliers de mon existence sont réunis en un flash : la danse, la féminité, la spiritualité ». La grand-mère avait décelé son talent pour la danse et son ambigüité sexuelle, il serait un homme-femme, un être inquiétant et respecté dans l’univers animiste, pour son rôle d’intermédiaire entre le monde des morts et le monde des vivants. Sa mère avait prédit : « Toi, si tu étais une femme, tu serais un scandale dans la société. Tu iras très loin ! ».

La vie de Zam s’articule autour de ces trois facettes, il danse dans de nombreuses structures avec de nombreux partenaires venus d’horizon très divers mais il ne se contente pas de danser, il crée de nombreuses chorégraphies dont certaines ont un réel succès. Il assume sa féminité en découvrant la spiritualité dans le bouddhisme qui deviendra sa voie, son chemin dans la vie. « Le bouddhisme m’a fait comprendre que tout est question de conscience. Nous avons tout en nous. Il suffit d’un déclic pour nous le révéler ». Le bouddhisme lui ouvre la voie de la spiritualité qu’il cultive par de nombreuses séances de méditation lui permettant de surmonter les crises graves qu’il doit parfois traverser. Il a connu l’expérience de la mort, il échappe à deux noyades, de la douleur ressentie à distance, il est malade quand d’autres souffrent ou meurent, Il est atteint de la maladie qui emporte son frère son frère au moment où celui-ci décède, la croyance en des forces occultes, en l’ésotérisme. Il perd deux frères, une sœur adoptive, son père trop tôt et plusieurs amis très chers. La pratique de la méditation bouddhiste est la bouée de sauvetage qui lui permet de traverser toutes ces épreuves et croire en une vie après la mort. « Je suis persuadé que, lorsque l’on meurt, notre âme rejoint la grande conscience universelle pour revenir dans un autre corps, et que ce qu’on a accompli dans la vie … peut devenir immortel ».

Toute sa vie s’articule alors autour de la danse, du chant et de la chorégraphie qu’il pratique en puisant dans sa part de féminité et dans la spiritualité bouddhiste. Il devient un défenseur de la cause des homosexuels au Cameroun, mais partout ailleurs aussi, en élargissant son combat à la lutte contre toutes les discriminations. Son art est imprégné d’un profond humanisme qu’il essaie de transmettre dans ses spectacles et ses enseignements. « Il s’agit en dernière analyse de ramener l’humain à l’humain. Et cet humain est digne de respect, quel qu’il soit, homme ou femme, noir ou blanc, hétéro ou homosexuel, chrétien, bouddhiste ou animiste… »

Dans ce poignant témoignage, j’ai retrouvé quelques expériences que j’ai personnellement connues : la jungle des financements publics qui semblent aussi inextricable en Belgique qu’en France qu’au sein des méandres des institutions européennes. « Les financements publics sont d’ailleurs très contraignants, ils requièrent énormément d’énergie pour les tâches administratives au détriment du travail sur le terrain ». Je confirme. Je me suis aussi souvenu que, quand j’étais investi dans la gestion du sport, une grande compagnie nationale avait, pour son mécénat, décidé d’investir dans ce qui appartient à chacun d’entre nous : le geste et la parole. Elle avait recherché des activités qui exprimaient la quintessence de ces deux attributs humains, elle avait choisi la gymnastique pour l’épure du geste (elle aurait pu choisir la danse) et le chant pour la parole. Zam aurait pu répondre à ces attentes.

Zam a transcendé son art par la spiritualité qu’il y intègre et avec l’humanité qu’il y insuffle éclairant ainsi la citation Ellen Degeneres que la préfacière, la députée européenne, Maria Arena, a placé en exergue de son texte : : « Il est temps que nous aimions les gens pour ce qu’ils sont et qu’ils aiment qui ils veulent ».