Tableaux de chasse ou la vie extraordinaire de Fernand Legros
de Roger Peyrefitte

critiqué par Septularisen, le 5 février 2019
(Luxembourg - 56 ans)


La note:  étoiles
UN MONUMENT… CONTESTÉ!
Dans «Tableaux de chasse ou la vie extraordinaire de Fernand LEGROS», Roger PEYREFITTE nous emmène faire la connaissance de M. LEGROS (1931-1983), «marchand» de tableaux dans les années 50-60.

Né à Ismaïlia en Egypte, ancien élève des jésuites du Caire, il entame très tôt une carrière de danseur de cabaret. Il émigre ensuite aux Etats-Unis d’Amérique, et prends par mariage la nationalité américaine. Il se consacre alors à une carrière de marchand d’art. Un peu atypique, il voyage à bord de sa voiture le coffre rempli de toiles de maître et démarche directement ses clients à leur domicile. Il faut dire que l’homme ne laisse personne insensible avec sa barbe, son chapeau de cow-boy, ses lunettes noires, son cigare éternellement cloué au bec, ses pendentifs et ses manteaux de fourrure…

Tout le talent de LEGROS fut donc de convaincre des milliardaires américains d’investir dans l’art, et donc d’acheter ses tableaux. Il ne vend que des tableaux avec certificat d’authenticité, signés des plus grands experts et/ou des veuves et ayants droit des peintres. Dans le même temps il mène une vie dissolue notamment en compagnie de jeunes et beaux hommes et d’individus plus ou moins « louches », qu’il rencontre aux quatre coins du monde lors de ses nombreux voyages.
Parmi ceux-ci le hongrois Elmyr de HORY (1906-1976 de son vrai nom Elemer HOFFMAN) , ou bien encore le fameux Julien (de son vrai nom Réal LESSARD), le jeune canadien, qui tous les deux feront par la suite de la prison!

Un de ses plus «beaux coups», fut la vente de 58 tableaux à Algur H. MEADOWS, milliardaire texan qui avait fait fortune dans le pétrole. Celui-ci voulait se constituer une collection de tableaux, afin de pouvoir en déduire le prix d’achat de ses impôts Après analyse des toiles par l’ADAA (Art Dealers Association of America), l'association des galeristes américains, 44 des 58 toiles se révèlent être fausses… Pour LEGROS c’est le début de la fin…

J’avais ce livre depuis très longtemps dans ma bibliothèque. Malgré son écriture un peu désuète et son thème passé de mode, je ne regrette absolument pas la lecture de ce qui ressemble d’ailleurs plus à un roman d’aventure, qu'à une biographie. Il faut dire que c’est vraiment passionnant, et les pages, pourtant d’une écriture dense et serrée, se tournent toutes seules.
Le style de l’écrivain par contre, tout en humour grinçant et en manque de finesse, laisse parfois à désirer.
Je ne compte plus p. ex. le nombre de fois où l’on lit la phrase: «des tableaux impressionnistes, post-impressionnistes et de l’école de Paris».
Le livre peut aussi se lire comme un pamphlet, une critique acerbe de la société de l’époque, M. Roger PEYREFITTE n’y allant pas avec le «dos de la cuillère», notamment en ce qui concerne les hommes politiques de l’époque. J’en veux pour preuve le fait qu’avant même la fin du premier paragraphe de la première page, il prétend déjà que - le secrétaire Général des Nations Unies, Dag HAMMARSKJÖLD, le pape Pie XII, l’ex-roi d’Italie Umberto II, Paul Ier de Grèce, Baudouin Ier de Belgique, le prince Bernard de Lippe et le Duc D’Edimbourg -, ont le «goût des garçons»!...

Le plus grand reproche que l’on puisse faire à ce livre étant d’être complètement à «décharge» de Fernand LEGROS, et pas du tout objectif. Il est ici présenté comme un véritable «aventurier des temps modernes» ayant eu une vie plus qu’extraordinaire… Un «Casanova moderne du monde des milliardaires», un fastueux dépensant sans compter et aimant la fête, entretenant un véritable harem de minets prêts à tout par amour pour lui, un ingénu qui avait eu comme seul tort de vouloir s’immiscer dans le monde des grands marchands d’art et de vouloir faire fortune… On sait aujourd’hui qu’il n’en est rien! La plupart de ses dires étaient complétement inventés, - et M. PEYREFITTE ne se donna même pas peine de les vérifier-, pourtant la mythomanie compulsive n’étant pas le moindre des défauts de M. LEGROS…
Non, il n'a jamais travaillé pour la CIA, ni fait partie de la troupe de danse du marquis de Cuevas, non, il n'a jamais été marchand d’armes, ni n'a jamais eu des passeports d'ambassadeur "at large" de plusieurs pays, non, il n'a jamais été l'amant de Dag HAMMARSKJÖLD (1905-1961), ni n'a eu comme amis des chefs d’États africains, non il n'a jamais connu le président Georges POMPIDOU (1911-1974), ni le Ministre Louis JOXE (1901-1991) …

A la décharge de M. PEYREFITTE, il faut dire qu’à l’époque où ce livre a été écrit, les procès intentés par l’état français contre, - ce qu’il faut bien appeler par son nom, c’est-à-dire un marchand de faux tableaux et un escroc -, n’avaient pas encore abouti. Fernand LEGROS perdra les 10 procès dont il fera l'objet et sera même condamné à de la prison ferme! Il finira d’ailleurs sa vie seul et complétement ruiné, dans un petit village au fin fond de la Charente, logé, nourri et habillé par sa grande sœur...

Pour ceux qui voudraient en savoir plus sur Fernand LEGROS, un très beau reportage sur sa vie, qui lui a été consacré par France 5 ici : https://www.youtube.com/watch?v=djL4anTZADU