Label Ventriloquie
de Samuel Rochery

critiqué par A_guessinot2, le 21 janvier 2019
( - 51 ans)


La note:  étoiles
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Rochery utilise à plusieurs reprises, dans ses livres, le terme de vumètre pour qualifier les vers. Label Ventriloquie, 2018, propose des vumètres à colorier : des rectangles vierges en lieu et place de lignes d’écriture, p. 74. Ça me confirme sur un point : la musique qu’on trouve dans les livres de poèmes de Rochery n’est pas question de « vers musical ».
De quoi, alors ? De thème privilégié ? Non plus. Ou plutôt : pas seulement. De fait, le lexique est celui de l’ingénierie du son, pas de la musique à proprement parler. Le vumètre est un instrument qui sert à montrer le niveau de signal audio, dans un studio d’enregistrement. On ne saurait mieux signifier, si c’était l’intention (je crois que oui, donc), que l’écriture est moins affaire de « musique » en mètres réglés que de sonorisation visuelle. Il y aurait tout un réseau d’impropriétés natives dans ce qui porte au moins l’étiquette, en couverture, de « poèmes », visant une écoute et une vision familières, à partir de différents sujets (le singe et la taupe, la chronique télévisée, l'histoire de Mami Wata, parmi les sections qu'on trouve dans Label Ventriloquie). Le son impossible, pour commencer, s'y voit, comme la géographie serait affaire d’oreille musicale.
Le vers n’est donc pas tenu, comme on peut le concevoir couramment, de mimer une mélodie et un rythme de la pensée en mesurant des mètres. La musique n’est pas à faire, elle est à enregistrer ? Les vers-vumètres tirent les conséquences d’un principe a-musical de la langue, réceptifs à la musique autant qu’ils sont des outils de traduction adaptables à tous les projets impossibles de la poésie : alors que la poésie « veut dire le réel », par exemple, le poème de vumètres rend compte, lui, de ce que ça fait d’en avoir enregistré les pics de désir et d’échec - comme on tire une leçon, pour mieux se déplacer.
En un sens, la ventriloquie vumétrée ne parle que d’enregistrements évidemment lyriques : des voix de lectures mémorisées, des voix de conversations assimilées, des raisonnements intempestifs sur le monde remontent à la marionnette sous la forme de fictions à la pointe du poème. Faisons-là bouger, cette marionnette, pour se rappeler qu’il nous reste encore un corps à inventer (L. V. , p. 114 ) sous la convention des illusions ?