Le révolutionnaire, l'expert et le geek
de Gaspard Koenig

critiqué par Elya, le 5 janvier 2019
(Savoie - 34 ans)


La note:  étoiles
Qu'est ce que le libéralisme politique ?
Gaspard Koenig est auteur aussi bien d'essais que de romans. Il a suivi un cursus universitaire de philosophie, ce qui se ressent fortement dans sa façon de s'exprimer, que ce soit dans cet ouvrage ou lors des interventions radiophoniques que j'ai pu écouter de lui : nombreuses citations de philosophes des siècles derniers, longues descriptions de concepts à partir d'écrits passés qui rendent parfois la lecture ou l'écoute fastidieuse. Ce style d'écriture me perd parfois tant il me demande de la concentration pour savoir où l'auteur veut vraiment en venir. Cela me donne souvent l'impression que l'idée centrale aurait pu être prononcée plus clairement et succinctement sans tous ces méandres.

Sur le fond cependant, j'ai trouvé les deux premiers tiers de cet essai passionnants. L'introduction donne quelques illustrations du manque de liberté individuelle et de l'étendue de la bureaucratie en France de nos jours comparativement à bien d'autres pays du monde. Le coupable : l'État-central, souvent appelé par Koenig « l’Etat-nounou, hygiéniste et précautionneux ».
« De protecteur des libertés, l’Etat s’est mué peu à peu en surveillant général, s’immisçant dans nos décisions les plus intimes, couvrant d’un réseau de règles serré et inextricable le champ de notre existence. Comment prétendre que nul ne doit ignorer la loi quand 400 000 règlements gouvernent l’ensemble de nos actes ? »
Un comble, car ce dernier a été crée justement pour garantir les libertés individuelles. Koenig résume ainsi l'objectif de l'ouvrage : « Disons-le en un mot : le problème, c’est l’étatisme, c’est-à-dire la prétention du pouvoir central d’organiser l’ensemble de la vie économique et sociale. La réponse, c’est le libéralisme, c’est-à-dire la confiance faite à l’individu pour trouver les solutions qui lui correspondent. Derrière ces deux termes, mille nuances, mille histoires, mille questions que ce livre tentera de démêler. »
Il s'agit donc de redorer le blason du courant philosophique injustement laissé de côté dans les cursus de philosophie, et souffrant de préjugés souvent infondés dans la société civile : le libéralisme. Il s'agit avant tout d'une vision philosophique de la façon d'organiser la société, et non d'une adhésion aveugle à la loi de l'offre et de la demande, ce à quoi il est souvent associé. Le but ultime en pratique que semble poursuivre Koenig est que le libéralisme retrouve une place dans le système politique français.

Dans un premier temps, Koenig revient sur les origines intellectuelles du libéralisme, au début du 19ème siècle. Cela a été l'opportunité pour moi de battre en brèche certaines des idées reçues que j'avais au sujet du libéralisme : « Dès ses origines, le libéralisme défendit la nécessité d’une régulation éclairée, ouvrant le marché à tous, contre « la loi de la jungle » que représentaient l’arbitraire royal et les protections discrétionnaires. Ce n’est pas la lutte du fort contre le faible, mais l’inverse : la possibilité donnée au faible de venir défier le fort. »
Il tentera ensuite de revenir sur les définitions classiques de la liberté pour finalement les dépasser en proposant d'adopter plutôt le concept d'autonomie. Ces deux sections ont moins remporté mon adhésion, tant j'ai eu l'impression qu'il aurait été beaucoup plus efficace de dire les choses bien plus succinctement. Si on me demandait d'en faire une synthèse en quelques phrases, je serais bien embêtée.

Ensuite se succèdent les trois parties principales, qui se retrouvent d'ailleurs dans le titre de l'ouvrage.
Koenig retrace toute l'histoire du libéralisme, particulièrement en France et aux alentours de la révolution française. C'est l'occasion d'ancrer les grands principes du libéralisme et leur légitimité. L'argumentaire est très convaincant, et pourrait se résumer dans cette phrase : « On ne le répète jamais assez : la protection des uns, c’est toujours l’exclusion des autres, et l’appauvrissement de tous. ». C'est l'occasion d'apprendre des détails intéressants sur l'histoire de France et surtout l'évolution de son organisation politique.
Le chapitre suivant présente les grandes réformes qu'impliquent la mise en place d'un système politique libéral en France. Chacune est expliquée, illustrée, argumentée, et sa faisabilité concrète également évoquée ; certaines le sont plus clairement que d'autres. Voici la liste non exhaustive des réformes suggérées : revenu universel, libre choix de l'activité, impôt unique, république parlementaire.
Koenig s'intéresse par la suite à la période de l'histoire qui a conduit à ce que notre système politique français s'éloigne autant du libéralisme : celle du régime de Vichy et d'après-guerre. C'est à cette époque que s'est mis en place le planisme, un système politique basé sur l'élaboration de programme (ou plans), où « L’Etat, abandonnant son rôle proprement révolutionnaire de garant des droits, se prend pour le pilote de la société et de l’économie. ».
Si le conseil national de la résistance a certes rétabli quelques libertés politiques fondamentales, son accointance avec le régime de Vichy sur le plan économique et social n'a pas permis de faire de l'État un libérateur plutôt qu'un prescripteur. L'auteur propose quelques garde-fous à mettre en place pour éviter qu'une nouvelle organisation politique retombe dans les mêmes travers.

La dernière partie, intitulée l’utopie numérique, m'a complètement égarée. Je ne saurais la résumer même en 3 mots tant je n'ai pas compris où l'auteur voulait en venir. Il s'agit d'une succession de prédictions sur ce que pourrait être notre monde de demain, à cause notamment du développement du numérique, avec ses bons et moins bons côtés. Bien sûr la thématique de l'autonomie est aussi évoquée dans cette partie, mais cela m'a paru très abstrait, et j'ai fini par lire en diagonale les dernières pages. Deux extraits qui illustrent parfaitement cette partie :
« On pourrait donc imaginer à l’avenir des couteaux qui se désintègrent au contact de la chair humaine, des maisons qui se verrouillent automatiquement faute de reconnaissance de leur propriétaire, et des applications smartphone qui signalent au juge en temps réel tout propos non autorisé. »
« Il faut se préparer à une ère de chômage massif et structurel, qui aboutira à remettre en cause le vieux modèle de l’emploi salarié. Ne survivront qu’une petite élite de geeks milliardaires contrôlant les réseaux numériques, et quelques emplois manuels incompressibles : je prévois une belle résistance pour les coiffeurs, en attendant le microrobot qui coupe les cheveux, ou le gène qui en stoppe la pousse… »


Malgré ce dernier tiers d'ouvrage très décevant, que l'on peut à mon avis sauter sans scrupule, cet ouvrage est l'un des plus stimulants que j'ai pu lire ces derniers temps. Il m'a donné envie de lire d'autres textes sur le libéralisme, si possible empreints d'un peu moins de philosophie classique dans l'expression. J'ai trouvé également excellents, bien que très simples, les arguments avancés pour rejeter tout type de corporation, comme toutes celles constituées par les ordres de professionnel·les de santé : seules devraient exister l'États et les individus ; chaque chose intermédiaire est un risque de plus d'avantager certain·es au détriment d'autres. À plusieurs reprises, Koenig cite également le système politique suisse comme un des plus garants de nos jours des libertés individuelles, en soulignant l'intérêt et la réussite de la démocratie directe qui y règne.