1848, la révolution oubliée
de Maurizio Gribaudi, Michèle Riot-Sarcey

critiqué par Heyrike, le 1 janvier 2019
(Eure - 56 ans)


La note:  étoiles
La révolution des sans gilets
En 1848, la France est gouvernée par le roi Louis Philippe qui accéda au trône suite à l’abdication de Charles X lors de la révolution de juillet 1830.

Les mauvaises récoltes de 1846 ont provoqué la disette, les salaires sont bas et le chômage saisonnier est de plus en plus fréquent dans le bâtiment. Le pouvoir en place est usé après 18 années de règne sans partage, la corruption endémique a amplifié le mécontentement général. Les petits bourgeois se sentent exclus du jeu démocratique par le système du vote censitaire, si l'opposition réclame une extension du droit de vote (et non pas le suffrage universel), c'est surtout certains journaux qui vont en faire leur cheval de bataille.
Le roi et son chef de gouvernement, François Guizot, ne s'alarment pas à propos de ce remue-ménage. Guizot oppose une fin de non-recevoir à cette revendication. Au cours des derniers mois de 1847, des banquets sont organisés un peu partout en France où plusieurs milliers de personnes assistent à ces débats publics, les slogans le plus souvent repris sont l'appel à "la réforme électorale", à la "fin de la corruption", à "l'abolition de la misère par le travail". Au fil des jours les discours se radicalisent et le peuple se remet à espérer aux promesses non tenues de 1789.

En décembre 1847 des officiers de la garde nationale, pour la plupart des commerçants et des petits bourgeois exclus du vote censitaire et outrés par la corruption, décident d'organiser un banquet. Le gouvernement l'interdit, si une partie de l’opposition prend le parti de battre en retraite, ce n'est pas le cas de Lamartine favorable au mouvement de contestation. Des tractations sont menées entre le gouvernement et les organisateurs de la manifestation afin d'éviter tout débordement et aussi pour que chacun sauve la face. C'est le 22 février 1848 que le peuple de Paris se répand dans les rues, la tension est grande, l'affrontement est latent, les barricades, sur lesquelles flotte le drapeau rouge, surgissent un peu partout, chaque camp observe l'autre. Le répit est de courte durée, des gardes nationaux se rallient aux insurgés, des coups de feu se font entendre, des hommes et des femmes s'effondrent, c'est le début de la révolution.

Le roi abdique en faveur de son petit-fils, mais l'opposition ne l'entend pas ainsi, les journaux qui relaient la parole des opposants appellent à la mise en place d'un gouvernement provisoire et à la proclamation de la 2ème république. Ces mêmes journaux liés aux différentes sensibilités de l’opposition dressent chacun de leur côté une liste de candidats. Tandis que les tractations s'engagent et que les tensions s'affirment, le peuple observe cette grand-messe politique à laquelle il n'est pas convié.

L'agitation est à son comble," les républicains de la veille" et le peuple réclament une république sociale. Lamartine use de son éloquence pour convaincre le peuple de Paris à se rallier au drapeau tricolore, les bannières rouges sont escamotées et la foule crie " vive la république ". L'affrontement est évité mais le mécontentement populaire n'est pas apaisé.

D'un côté il y a ceux qui veulent aller jusqu'au bout du mouvement révolutionnaire qui octroierait le droit et la justice aux ouvriers et de l'autre les bourgeois qui craignent d'être piétinés par ce souffle de liberté. Le gouvernement provisoire tente, tant que bien que mal, de contenir les aspirations des plus radicaux, la crainte du communisme grandit, Blanqui, Raspail et Barbés sont emprisonnés. Le chômage n'est pas résorbé.

Les dissensions au sein du gouvernement provisoire enveniment la situation déjà chaotique du pays, le peuple gronde de plus en plus, l'esprit de la révolution semble avoir été volé par les élites plus soucieuses de leur propre intérêt que de ceux qui les ont conduits au pouvoir. Ils s'efforcent d'effacer le caractère social et politique du mouvement de février. Les ateliers nationaux qui emploient des milliers d'ouvriers sont fermés. Le gouvernement projette d'envoyer les ouvriers en province pour accomplir des travaux d'utilité nationale. La digue rompt le 22 juin 1848. Les barricades ressurgissent aussitôt.

L'affrontement va être d'une brutalité sans précédent, l'armée utilise le canon, fait fusiller sur le champ les insurgés, un véritable carnage se déroule au sein de la capitale. Le sang coule dans les caniveaux. Les ouvriers sont présentés par certains journaux conservateurs comme des brutes épaisses, des voleurs, des égorgeurs et des violeurs.
Écrasé, massacré, le peuple de Paris est vaincu, les bourgeois cessent de trembler, la république sociale a été anéantie. Des milliers de prisonniers sont déportés.

Le 10 décembre 1848, l'aimable Napoléon III est élu président de la république. Mais ça c'est une autre histoire ou plus exactement un prolongement de l'histoire qui conduira à une autre révolution historique (qui elle ne sera pas oubliée).
Cette révolution malheureusement oubliée fut un grand mouvement populaire qui ne demandait rien de moins que d'accéder à la dignité et à la reconnaissance de leur droits fondamentaux promis par la révolution de 1789. Sur les barricades ils combattaient pour que soit entendue la misère qu'ils côtoyaient au quotidien et contre l’oligarchie monarchique et ensuite bourgeoise qui les maintenait dans cette misère permanente. La révolution de 1848 fut tout à la fois une résurgence de 1789 et le terreau de 1871.
L'espoir d'une République sociale 6 étoiles

La révolution de 1848 pourrait être résumée à la fin de la monarchie et le retour de la République. Mais cette simplicité apparente masque les véritables enjeux qui s’y sont joués.

Si l’on connaît les circonstances du mécontentement (entre misère sociale, crise économique, scandales politiques et demandes de réformes), si l’on connaît également la succession des événements de février (qui ont commencé par une protestation contre l’annulation d’une réunion politique - autrement appelée banquet), il est difficile de comprendre pourquoi cette étincelle là a embrasé le pays et pas une autre.

Quoi qu’il en soit, suite au soutien des manifestants par la Garde Nationale et face à la menace qui approche, Louis-Philippe abdique rapidement. Et le sort du dernier monarque de France intéresse peu les auteurs qui balaient cette rupture dynastique d’un revers de main.
Non ce sont plutôt les tractations sur la formation d’un nouveau gouvernement et les nouveaux espoirs qui portent le peuple qui sont ici développés. Avec cette problématique centrale et urgente, celle du travail de milliers d’ouvriers désœuvrés et indigents.

S’affrontent alors les tenants d’une république démocratique et sociale contre ceux d’une république de l’ordre, ou encore les républicains « de la veille » contre ceux, au ralliement plus tardif et contraint, « du lendemain ». Les élections au corps électoral élargi seront favorables aux seconds. Le souvenir de 93, le spectre du communisme, la menace sur la propriété privée, auront entre autres ramené les partisans de l’ordre au pouvoir.

La fermeture annoncée des Ateliers Nationaux, promesse avortée d’apporter du travail aux plus démunis, renverront les ouvriers sur les barricades lors des émeutes de juin. Ils seront écrasés dans le sang. La République démocratique et sociale est bien morte. Elle laisse la place pour un pouvoir fort, pour un homme providentiel. Mais les graines ont été semées.

Les auteurs présentent quasiment les minutes des événements de février à juin1848. Ils produisent de nombreux témoignages des acteurs et spectateurs de l’époque. Aidés en cela par la folle activité de la presse à la liberté, un temps, retrouvée. C’est dense et documenté et quelques illustrations et annexes auraient pu apporter un peu plus de confort et de clarté.

Cette révolution méconnue aura eu un impact social important en Europe. Elle a cependant négligé les droits des femmes. Elle reste aussi comme une toile de fond de certains monuments artistiques.

Elko - Niort - 47 ans - 8 mars 2020