Marcher sur les bas-côtés
de Hénin Liétard

critiqué par Débézed, le 1 janvier 2019
(Besançon - 76 ans)


La note:  étoiles
Marche à l'ombre
C’était en 62 ou en 63, mais c’était bien dans le 62, que la mère du narrateur a confié son rejeton à un sanatorium pour qu’il y passe les jours qui lui étaient comptés. Il restera six ans dans cette antichambre de la mort avec Johnny pour voisin, Johnny un plus grand que lui, plus malade que lui qui s’envolera avant lui, Johnny le rockeur souffreteux, le roi de la combine, celui qui lui enseignera tout ce qu’un ado doit apprendre pour ne pas rester niais et même tout ce qu’il faut pour en faire un petit gars débrouillard. Le sana, ça pourrait être l’enfer mais ce n’est que le purgatoire, la vie y est moins rude qu’à la maison, la bouffe moins dégueu, le confort moins austère, l’hygiène un peu moins catastrophique.

A seize ans, après six ans de sana, l’ablation d’un rein lui sauve la vie et le rend à son coron natal, à sa famille de mineurs silicosés de père en fils, à sa bande de potes qui traînent leurs godasses sur les terrils et dans les bistrots. L’école ce n’est pas leur truc, surtout pour le narrateur qui a vécu plusieurs années comme si c’était la dernière. Dans le coron l’avenir n’est pas à construire, il est prévu avant la naissance, fils de mineur sera mineur, pour être contremaître, il faut être fils de contremaître, tout est simple et prévisible, les parents ne s’inquiètent pas plus que les enfants, la vie c’est aujourd’hui, l’avenir il est aléatoire et prévu pour ceux qui en ont un. Alors, on oublie les aspérités de la vie, les tracas, les petites souffrances, les frustrations, la pénurie dans les kermesses, les ducasses, les foires, les fêtes qui jalonnent le calendrier de part et d’autre du Quiévrain en se noyant dans l’alcool et les aventures plutôt douteuses sans pour autant franchir la ligne jaune. « Par éducation, par trouille, parce qu’on s’en branle surtout, pas un du groupe ne poserait un pas de coin. On traverse dans les clous le nez en l’air, la tête en paix dans les nuages … ». Turbulents mais honnêtes !

Et vient le jour où il faut apporter sa contribution, si maigre soit-elle, au train de vie familial, en évitant si possible de descendre au fond. C’est ainsi que notre héros dégote quelques petites combines peu lucratives avant de se faire embaucher pour relever les compteurs d’eau. Le gros lot, la planque, la machine à sous jusqu’au jour où le grain d’anthracite coince la roue de la fortune.

L’histoire d’un petit gars du coron, souffreteux, fêtard, jeanfoutre mais désireux tout de même d’avoir une vie honnête et supportable. « Fils, petit-fils de mineur, gosse du coin, chi des orteils jusqu’au bout de la langue, … ». La vie que l’auteur a certainement cherché à construire quand il était jeune, la vie dont il décrit de nombreux aspects dans diverses chroniques où il a pioché pour rédiger ce récit à l’odeur autobiographique. Un texte authentique comme la cuisine du mineur, un plat qui tient au ventre, qui requinque après une journée de boulot inhumain, un plat arrosé de gros rouge ou de pintes de bière. Un texte suant l’alcool écrit dans la langue du coin, du français comme on a pu l’apprendre avec des parents pas très français et peu d’application à l’école, du jargon, du dialecte, des néologismes pour dire ce qui n’existe qu’en pays minier, des mots de rockeurs, de l’américain phonétique à la sauce chti et le tout touillé au gré de l’alcoolisation des protagonistes de cette tranche de vie. Cette langue vernaculaire n’exclut pas les formules de styles comme ce zeugme : « … je me retrouve affecté avec un cantonnier proche du quintal et demi et de la retraite. » ou cette maxime de comptoir : « L’alcool au volant ? A un certain degré, t’y penses, plus. ».

J’ai connu cette époque, j’ai à peu près le même âge que l’auteur, mais j’ai vécu bien loin des corons du nord, j’ai connu une version bucolique de cette chronique et pourtant, j’ai éprouvé beaucoup d’émotion et de nostalgie à la lecture de ce texte. Dans mon coin de cambrouse, on vivait comme ces jeunes, avec trois fois rien, on travaillait dur mais on faisait la fête et on riait beaucoup. « … on est tellement habitués à rien qu’avoir un petit peu du gâteau à bougies, c’est déjà se goinfrer de miettes fastueuses … ». Quels festins avons-nous dégustés !