Les hobereaux
de Jérôme Tharaud, Jean Tharaud

critiqué par Alceste, le 29 décembre 2018
(Liège - 62 ans)


La note:  étoiles
Du côte-à-côte au face-à-face
Il s’agit en fait d’un recueil de nouvelles dont la première met en scène cette toute petite noblesse de province qui, même au XIX e siècle, n’a jamais quitté les terres ancestrales et qui mène une existence assez proche des paysans qu’elle côtoie quotidiennement, ne fût-ce que pour réclamer leurs fermages.
Le début du récit les montre pittoresques, nos hobereaux, réunis avec les notables, le maire, le curé, dans de joyeuses assemblées bien arrosées, à la manière de Maupassant. Mais les nouvelles de la guerre de 1870 perturbent le calme de cette petite région du Périgord. Comme il est d’usage en France à cette époque, on peut échapper à la conscription en « achetant un homme ». C’est ainsi que le fils d’un hobereau se fait remplacer par un fils de paysan, et chacun suit le déroulement des événements par les nouvelles qui arrivent lentement et imparfaitement dans ce coin reculé de province.
Mais cette fois, c’est certain, l’Empereur, « l’aventurier qui a pris la place de nos princes », selon l’opinion des hobereaux, a été vaincu et chassé. Du surcroît, le jeune conscrit est mort au combat.
Il s’ensuit une colère des villageois qui soupçonnent les hobereaux de vouloir restaurer la monarchie honnie, au lieu d’une République égalitaire. Leur rage trouve à se déverser sur un jeune aristocrate qui passait par là et qu’une infirmité a gardé au village, tandis que son frère, valide, a refusé, lui, de se « payer un homme ». L’infirme subira un lynchage meurtrier d’une rare sauvagerie.
Ce court récit, qui s’achève sur la justice obtenue par la mère du malheureux, concentre une série impressionnante d’enjeux et de pistes de réflexion : analyse sociologique, psychologique, politique, médiatique, le tout dans un style enlevé et expressif.
Une très agréable surprise, de la part d'écrivains bien peu cotés de nos jours.