Tempo di roma
de Alexis Curvers

critiqué par Alceste, le 19 décembre 2018
(Liège - 62 ans)


La note:  étoiles
Le roman de Rome
Le beau roman du Liégeois Alexis Curvers (1906- 1992) mérite un retour en grâce même si sa haute tenue littéraire risque de le rendre difficile d’accès à plus d’un. C’est en tout cas un fleuron de la littérature belge d’expression française, paru et primé en 1957.

La Belgique est d’ailleurs présente sans jamais être nommée tout au long de l’histoire, puisque Jimmy, le héros, venu des régions septentrionales de l’Europe est poussé par les troubles de l’immédiate après-guerre jusqu’en Italie. Compromis dans différents petits trafics, Jimmy échoue à Rome où il trouve une situation, précaire certes mais inespérée, des relations et presque une famille. Mais surtout, il entre en osmose avec cette ville qu’il fréquente comme une personne à part entière et dont il adopte le tempo particulier. Les péripéties vont s’enchaîner de manière assez picaresque, promenant le lecteur sur différents sites de la ville éternelle, vus par le regard émerveillé et sensible du narrateur. Une fête en plein air a plus de cogne quand elle se déroule au pied du tombeau de Caecilia Metella, de même pour une cérémonie religieuse à Saint-Pierre de Rome, ou un thé pris dans un palais de la Piazza Sant’ Ignazio. On l’a compris, le roman gagne en intérêt quand on connaît les lieux décrits, mais il constitue, pour ceux qui n’y sont jamais allés, une excellente introduction à la psychologie particulière de Rome et celle de ses habitants. L’une et l’autre sont d’ailleurs subtilement mises en parallèle, comme si la forme d’une ville conditionnait le comportement de ceux qui l’ont faite, comme si le visage de Rome avait les traits de la jeune Romaine dont le héros est épris.

« Jamais imprimeur n’a plus sûrement calculé marges et interlignes pour le repos des yeux que les bâtisseurs de Rome n’ont ménagé, pour l’apaisement du cœur, ces vides, ces intervalles dont j’ai parlé, ces plans neutres mais indispensables, qui me donnaient à la fois la sensation la plus exacte et le plus exquis sentiment des distances. J’entends le nom dans sa double acception : si je parcourais sans ennui, grâce à leur variété si bien ordonnée, les distances même considérables qui alternaient avec les hauts lieux, je percevais avec un égal plaisir cette distance immatérielle qui, dans Rome, unit autant qu’elle isole, ainsi que les choses, les êtres. (…) Si avancé que je fusse dans l’intimité de Geronima et de Sir Craven, un interstice infranchissable continuait d’assurer entre eux et moi l’aisance et la liberté des échanges. Au plus fort de nos embrassades ou de nos confidences, nous restions pareils à des princes qui, se rencontrant pour la première et la dernière fois, sont attentifs à l’impression qu’ils produisent l’un sur l’autre. »

Roman-ville, dont aucun recoin n’est terne, dont le dédale réserve à chaque détour aventure et méditation.