L'Eau qui dort
de Hélène Gestern

critiqué par Myrco, le 9 avril 2019
(village de l'Orne - 74 ans)


La note:  étoiles
Roman hybride
Sous l'eau qui dort que de secrets et de blessures enfouis qui, un jour ou l'autre, ne demandent qu'à remonter à la surface...

A quarante-six ans, Benoît Lauzanne alias Martin se retrouve à une étape charnière de son existence, un état de mal être où tout bascule. Licencié de son emploi de représentant, parvenu à un point de non retour avec son épouse, un beau soir, il quitte leur domicile parisien sans autre projet que de mettre de la distance...Il se retrouve dans le Loir-et-Cher dans l'attente d'un rendez-vous avec son ultime client. Une silhouette, un visage entrevus furtivement et il croit reconnaître Irina, son grand amour volatilisé sans explication vingt ans auparavant. Il n'aura de cesse de la retrouver pour comprendre, résoudre l'énigme de cette disparition qui n'aura jamais vraiment cessé de le hanter. En parallèle, ne parvenant pas à se résoudre à affronter sa femme, renouant avec ses passions horticoles contrariées, il se fait embaucher à titre temporaire dans l'équipe de jardiniers d'un de ces domaines ouverts au public qui font l'émerveillement des amateurs de jardins, contexte propice à se ressourcer. Mais bientôt certains évènements vont troubler la sérénité de ce petit paradis...

"L'eau qui dort" est un roman hybride de bonne facture qui exploite le romanesque des hasards plus ou moins improbables et emprunte à la littérature policière tout en brassant des thèmes propices à une réflexion plus profonde.
L'auteure mêle en effet une enquête de police autour du mystère d'un trésor ressurgi (argent sale issu d'un vol ou d'un trafic) et de la mort d'un maître-chanteur dans des circonstances douteuses, à l'enquête personnelle de Benoît lancé sur les traces d'Irina.
Mais derrière ces aspects qui offrent au lecteur son compte de suspense dans la résolution de ces énigmes à dimensions multiples, Hélène Gestern pénètre l'âme humaine, explorant le délitement du couple et surtout le thème de la disparition, la tentation d'échapper à son identité au risque de se perdre car " disparaître c'est mourir aux autres mais aussi à soi " et traîner le fardeau de la culpabilité des "chagrins qu'on inflige (qui eux) ne connaissent pas de barême judiciaire (...) ni tribunal, ni jugement, ni peine." Au-delà des aspects disons divertissants précédemment évoqués, c'est un roman mélancolique empreint de la tristesse de quelqu'un qui est passé à côté du bonheur, cet anti-héros auquel on s'attache malgré ses lâchetés qui rejoignent aussi parfois les nôtres.
Un autre thème majeur est celui de la nature dont le contact s'avère source de sérénité, antidote aux déboires et difficultés de la vie.

Je m'étais précipitée sur ce roman (le dernier paru d'Hélène Gestern à ce jour) suite à la lecture de "L'odeur de la forêt" qui m'avait éblouie. Je ne peux évidemment m'empêcher d'apprécier celui-ci à l'aune du précédent. Je dirais que l'œuvre n'est pas de la même trempe même si l'on retrouve des constantes: cette plume élégante, ce jeu de résolutions d'énigmes au travers d'un écheveau d'indices auquel l'auteure aime à se livrer, avec brio d'ailleurs, ce ton de confidence si agréable et qui nous rend si proche du narrateur, ces références à la photographie, ici par touches discrètes, qui semblent être sa signature. Mais celui-ci est un roman moins ambitieux, moins élaboré, moins grave malgré tout, même si là encore, elle n'hésite pas à s'attaquer au passage à des sujets sérieux en dénonçant le scandale de pratiques odieuses perpétrées par des institutions catholiques jusqu'aux années 80.
Mon sentiment (peut-être infondé puisque je n'ai lu que ces deux romans) est qu'à s'enfermer dans des schémas trop similaires, Hélène Gestern bride ses potentialités et son talent. Encore une fois, "L'eau qui dort" se lit avec plaisir mais je sais désormais que son auteure est capable de beaucoup plus.

Citations:
" Les énigmes nous obsèdent. Ce sont elles qui nous poussent à enquêter, à chercher, à soulever chaque pierre, nous emportant dans une passion frénétique de la révélation. On se croit assez fort pour affronter la menace qui dort sous le silence."

" j'aimerais me familiariser avec la langue patiente du monde végétal, la vibration de ses silences. Je voudrais connaître ses idiomes nocturnes, ses murmures matinaux. Faire de cette lenteur, cette vie taciturne, un baume posé sur les mots assassins que ma femme et moi avons échangés depuis trop longtemps."