La peinture de Manet, suivi de "Michel Foucault, un regard"
de Michel Foucault, Maryvonne Saison

critiqué par Sahkti, le 9 juin 2004
(Genève - 50 ans)


La note:  étoiles
Foucault et Manet, une passion
Michel Foucault a longtemps exprimé le souhait de rédiger une étude sur la peinture de Manet. Si l’ouvrage ne vit pas vraiment le jour, Foucault donna tout de même plusieurs conférences sur le sujet, dont une à Tunis en 1971, composée de l’analyse détaillée de treize tableaux de Manet. C’est la transcription de celle-ci qui paraît aujourd’hui au Seuil suivie d’actes d’un colloque consacré aux études sur la peinture de Manet depuis la conférence de Tunis.

Amateur de peinture, Foucault a souvent étudié et commenté l’œuvre de peintres, notamment les Ménines de Velasquez ou l’œuvre de Magritte avec lequel Foucault entretiendra une solide amitié et inspirera son "Ceci n’est pas une pipe" paru chez Fata Morgana en 1973.

Dans cette conférence tunisienne, Foucault a choisi d’explorer l’univers de Manet non pas d’une manière générale ou exclusivement biographique, mais en se basant sur une série de tableaux, commentés et détaillés, qui permettent à Foucault d’ouvrir la voie à une étude de la peinture moderne, dont Manet serait un des précurseurs. Peinture moderne qui donnera naissance à l’art contemporain. C’est dire alors, en respectant l’hypothèse de Foucault, à quel point Manet joue un rôle important dans cette aventure artistique !
Foucault distingue les innovations de Manet ("Nouvelles techniques de la couleur, utilisation de couleurs sinon tout à fait pures, du moins relativement pures, utilisation de certaines formes d’éclairage et de luminosité qui n’étaient point connues dans la peinture précédente.") et s’étend ensuite sur les difficultés d’identification des modifications apportées par Manet à l’impressionnisme. Si le style est aisément reconnaissable, plus ardue est la tâche de décryptage de l’héritage Manet.


Foucault consacre un chapitre à la perception de l’espace créé par la toile, signe de génie chez Manet.
"Manet est celui qui, pour la première fois dans l’art occidental, au moins depuis la Renaissance, au moins depuis le Quattrocento, s’est permis d’utiliser à l’intérieur même de ses tableaux, à l’intérieur même de ce qu’ils représentaient, les propriétés matérielles de l’espace sur lequel il peignait".
Non seulement le peintre est conscient des limites imposées par les dimensions de la toile, mais au lieu de les considérer comme une contrainte, il s’en joue et les utilise avec brio dans la composition de ses tableaux. Les personnages regardent au-delà des lignes et des coins, conduisant notre imagination vers des tableaux inexistants et virtuels, comme si chaque peinture de Manet pouvait consister en une pièce d’un vaste puzzle représentant une scène de vie.
Non seulement le tableau est représentatif, mais il devient également objet.

Assez technique mais très compréhensible et claire, cette conférence est intéressante à plus d’un titre.
D’abord parce qu’elle apporte un regard différent sur l’œuvre de Manet, ensuite parce qu’on y retrouve la force et l’émotion de Foucault, ce qui n’est pas rien, et enfin parce qu’elle nous oblige à considérer les notions d’espace et de représentation autrement.