Un beau jour
de Dieter Wellershoff

critiqué par Mauro, le 25 février 2001
(Bruxelles - 61 ans)


La note:  étoiles
C'est le détail qui tue
Dans le petit monde gris de Dieter Wellershoff, chaque geste, chaque parole comptent, même s’ils ne disent jamais rien.
Chef de file de l’école néo-réaliste de Cologne, Wellershoff donne un roman où tout est banalité, quotidien, platitude. Et c'est de cette platitude que naît la rupture. « C'est la réalité même qui est le lieu de l’imaginaire », écrivait l'auteur. Peut-être que tout est imaginaire, en effet. Peut-être que le réel n’est qu'illusion : rupture et fumée.
Dans une ville qui pourrait être Cologne, un vieil homme vit de ses souvenirs et de quelques chimères. Démobilisé trois jours avant la capitulation allemande, il a amené sa famille vers l'Ouest, fuyant les chars soviétiques qui fonçaient vers sa Poméranie natale.
Nous sommes une vingtaine d’années après la fin de la guerre. Lorenz habite un appartement avec Carla, sa fille aînée. Sa femme n’a pas survécu longtemps à l’exil. Günther, son fils cadet vit ses propres chimères, étudiant, mais juste pour la pose, traînant sans but avouable, mais avec la conscience vague qu’aucun geste, aucune démarche ne changeront jamais rien à sa dérive.
Le père et ses souvenirs, la fille et ses rancœurs, ses désirs d’indépendance, le fils et ses mensonges, son implacable solitude. Trois héros d'un quotidien trop linéaire, trop fastidieux pour être pris au sérieux. Chacun tentera de se rebeller à sa manière. Petitement. Et cette rébellion les isolera un peu plus. La vie n'est-elle que normalité et formes ? Il faudra se résoudre à accepter ce modèle : une famille unie, vivant ses petites tensions, ses déchirures, fêtant ses anniversaires, dans une Allemagne qui n'est pas la leur.
Dans un tel univers, ce qui tue : c'est le détail. Comme une gifle ! Les petites dissimulations, les envies cachées, les choses que l'on pense et désire et qui perdent toute pertinence lorsqu'on les vit. La routine est le lieu de la fiction. Pour Wellershoff, le premier principe, c’est que la réalité est impalpable. L'auteur réaliste inventera donc de nouvelles techniques de perceptions pour l’interroger, lui donner une dimension concrète en la dégageant du quotidien. « La réalité doit se présenter comme une chose étrange, une chose inouïe », écrit-il. Mais ce « beau jour » n’est jamais qu’un jour parmi tant d'autres. Un jour qui ne dit rien, parce qu'il ressemble à des milliers d'autres jours similaires. Et les personnages de cette fiction savent que ce qui leur reste à vivre ressemble - désespérément - à ce qu'ils ont toujours vécu.