Conte de la 1002ᵉ nuit
de Joseph Roth

critiqué par Pucksimberg, le 29 août 2018
(Toulon - 44 ans)


La note:  étoiles
Entre conte oriental et roman viennois
Un shah de Perse, rongé par la mélancolie, suit les conseils de l’un de ses eunuques et décide de partir en Europe. A Vienne, il est accueilli comme il se doit par l’empereur. Assez capricieux et colérique, son personnel se voit obligé d’être très créatif quand le shah décide d’avoir une relation sexuelle avec une comtesse. Son harem ne lui suffit plus, il exige cette femme. En Europe, ses exigences n’ont pas le même écho qu’en Perse. Pour éviter le scandale on lui cherche en toute hâte une femme qui ressemble à l’aristocrate : Mizzi Schinagl sera l’élue, une prostituée ! Suite à cette supercherie Joseph Roth embarque son lecteur dans une Vienne naïve et vénale. Le lecteur suit ensuite la tenancière du lapanar, le baron Taittinger ... Le tour de force de l’écrivain est de désamorcer une à une les attentes du lecteur. On se croyait dans « Les Lettres persanes » version autrichienne, puis on oublie quelque peu ce shah. On passe d’un personnage à l’autre avec logique et fluidité si bien que le personnage principal n’est jamais le même selon la partie où l’on se trouve.

L’allusion aux contes des Mille et une nuits est transparente et il faut aussi ici calmer la colère du Maître, mais Joseph Roth va bien au-delà en parlant de cette Autriche qui se trouve à un tournant et où les apparences sont souvent trompeuses. Le thème de l’illusion et celui du factice s’entrelacent dans ce conte pourtant pas si éloigné de la réalité. Le collier de perles sert de fil conducteur dans ce texte. Il sera au service de l’illusion, de l’avidité de certains personnages et permettra la réflexion finale.

Joseph Roth a le sens du récit et du rythme et emporte son lecteur dans cette histoire surprenante. L’écriture est vraiment de qualité et la construction efficace. Cette manière de passer d’un personnage à l’autre est vraiment habile. On ne se rend même plus compte du moment où l’on a délaissé un personnage sur le bas côté. Ce texte pourrait fonctionner comme un apologue à la manière de Voltaire dans « Candide ». Il y a une portée critique derrière le voile de la narration. Le lecteur sent qu’il devra faire certaines déductions pour apprécier totalement cette œuvre. L’image de Vienne que nous donne l’auteur n’est pas très heureuse. Il y a des figures tragiques et pathétiques dans cette œuvre, des personnages rongés par des travers et la mort n’est jamais bien loin.

Ce texte est plaisant à lire, original et permet de découvrir une facette intéressante de l’un des plus grands écrivains autrichiens.